[Chronique son] Fayçal - Lettres de noblesses



Deuxième morceau présenté dans mon blog concernant cet artiste, et ce ne sera logiquement pas le dernier. Le morceau est sorti en 2013 sur son album "L'Or Du Commun". Qui de mieux que l'artiste lui même pour présenter le morceau ? Voilà ce qu'il a dit sur son compte Facebook :

"C'est le deuxième morceau que j'ai écrit sur cet album. Évidemment, ce concept d'initiales a été maintes et maintes fois fait donc je voulais absolument y ajouter mon originalité.  Comme je me sers constamment des caisses claires pour faire taper mes rimes, j'ai eu l'idée d'y faire taper seulement mes initiales sur les couplets, sans croisements ou embrassements des rimes, et de revenir à quelque chose de plus “classique” au refrain.  Deux couplets de 24 mesures avec à chaque fois 8 mesures pour une lettre, le tout dans l'optique de me définir sur plusieurs points…"

Qui d'autre que lui donc aurait pu faire preuve de tant d'originalité sur un morceau ? Peu, très peu. Car en plus de ça, il faut bien évidemment la qualité technique et le talent pour l'exploiter. Alors en fait le premier couplet se compose ainsi :

- Première partie du couplet : 8 mesures pour la lettre F, allitération en "F"
- Deuxième partie du couplet : 8 mesures pour la lettre A, assonance en "A"
- Troisième partie du couplet : 8 mesures pour la lettre Y, allitération du son “ɛk” (prononcé : i grec)

Les lettres ne se contentent pas de claquer sur les caisses claires et d'arriver sur les fins de mesures, elles rebondissent tout le long du couplet. Performance incroyable. Ainsi le couplet s'ouvre avec tous ces "F" :
"Le F pour exporter mon fief, le porter en friche fièrement 
Je me fiche de tous vos chefs, je suis riche de firmament"


 
 
Le fief est un terme qui renvoie au Moyen Âge pour désigner les terres mais aujourd'hui il vient plutôt désigner chez soi, de sa maison, son quartier. Mais l'artiste lui donne un autre sens ici, fief se traduirait plutôt par patrimoine. De son rap en somme qu'il conduit comme lui le voudrait et le transmet comme lui le voudrait et non pas par un label ou autres qui aurait le contrôle de sa créativité. Le mot friche désigne une terre non cultivé ou cultivé par l'homme mais abandonné et reprise par la nature. Donc en plus du jeu de mots par rapport à la culture, il veut faire germer sa musique et la faire voyager. Le mot chef renvoie au pouvoir et à ceux qui nous dirigent, mais aussi l'argent, la célébrité... Ainsi il rejette tout ceci et va au naturel.

Pourrait-on ainsi dire :
"Le banal est précieux, l'ordinaire est extraordinaire"
 
Il a naturellement beaucoup se décrire dans ce morceau, ainsi quand il parle de fantômes, c'est pour les histoires incroyables qu'ils racontent. La lettre "F" peut aussi se lire comme folie, chose qui fait partie de notre tempérament. On dit parfois qu'on lutte contre la folie qui est au fond de nous et qu'on la fait taire car on refuse de croire que nous abritons en nous une part de folie. Ainsi certains "fous" se considèrent normaux car il laisse leur folie naturelle s'exprimer. Par une intelligente métaphore qui mentionne les atomes, molécule infime et qui se retrouve dans toutes choses en ce monde et qui elle est même formée par protons, neutrons et électrons. On comprend donc que tous ses atomes et donc tout son corps rentre en phase avec la musique, ainsi il atteint un niveau exceptionnel.
 
"F" car c'est bref, on finira un jour par ne plus parler, muet ou mort et on communique de plus en plus de par SMS. Il va forcément parler de la société et des hommes qui veulent tous une chose : le benef'. Pourquoi il écrit ? On suppose par ses métaphores qu'il écrit ses peines, sa tristesse mais aussi contre la haine qu'on lui a transmise, donc le racisme et tout ce qu'il en suit. Mais les raisons sont nombreuses. Mais pour lui l'écriture est une torture et une obligation car quand il n'arrive pas à poser ses rimes, ça lui fait mal à la tête. Certains artistes fument, boivent, prennent de la drogue pour trouver de l'inspiration par moments....


 
Le "A"

Deuxième lettre de noblesse et pas la plus simple à analysé.
"Le A parce que dans l'embarras, vu d'ici ou de là-ba
C'est un branle-bas de combat, mes récits font leur débarras"

On peut constater ici toutes les assonances en "A" et la richesse de la phase. Les jeux de mots sont aussi nombreux et notamment quand il parle de son rap qui est naturel et qui vaut des 24 carats. Celle-ci vaut de l'or, ce qui renvoie encore une fois au titre de l'album. Tout est naturellement dans la forme, pas besoin de rajouter de mascara. Il rappe avec le cœur, donc exit strass et paillettes, champagne et filles faciles, bijoux et artifices, auto-tune trucages... Il finira le couplet en disant qu'il rappe pour s'élever contre l'État, sa voix résonne ainsi. Les médias et le gouvernement imposent la loi du silence et ne divulguent pas la vérité, lui avec son rap, il brise l'omerta, la loi du silence.


Le "Y"

Encore une fois, il fait preuve de son incroyable talent pour ouvrir le couplet et nous faire partager sa passion pour l'écriture et l'écrit. Il lit énormément et on le ressent dans ses écrits et il étudie aussi beaucoup, il analyse pleinement ce qu'il lit. Et parmi les écrivains qu'il apprécie, on peut citer Franz Kafra, un écrivain tchèque. D'ailleurs dans un clip il tient un livre de cet écrivain. Le rappeur accorde beaucoup d'importances à l'amitié, la justice et la beauté. Il va utiliser un mot que les fans de rappeurs français connaissent assez bien : métèque qui signifie :

- "A l'origine, le mot métèque désigne les étrangers domiciliés dans la cité d'Athènes antique, qui étaient soumis aux mêmes lois que les athéniens et avaient les mêmes devoirs, mais qui n'étaient pas admis à la citoyenneté."

- "Le mot métèque désigne de façon péjorative les étrangers qui n'inspirent pas la confiance."
Le deuxième sens nous intéresse car il tient l'artiste à cœur étant donné qu'il est d'origine tunisienne et qu'on sait ce que ça implique en France. Mais ça n ne l’empêche pas de rester le même, de gardes ses principes et ses valeurs. Un autre mot aussi souvent utilisé en France et pas seulement par les personnes qui parlent arabe ou qui sont de confessions musulmanes utilisent : bsahtek. On pourrait le traduire de l'arabe par : félicitations, à ta santé. On l'utilise pour un peu tout en fait : après s’être lavé, après s’être fait couper les cheveux, pour parler d'un vêtement, d'une situation... Quand on nous dit ça c'est qu'on est content pour nous. Donc oui comme il le dit, il est quand même fière de lui.
Refrain :
"Six lettres de noblesses mais n'ai pas grand chose d'un châtelain"



 
Jeu de mots sur le champ lexical de la noblesse : noblesse et châtelain qui désigne quelqu'un qui loue ou possède un château. Il y a une opposition entre sa propre noblesse à lui qu'il doit à son talent et l'affutage de ses attributs et la noblesse qui découle d'un héritage. Celle du Moyen Âge entre autres. Il utilisera dans le refrain le mot "écu" qui est une ancienne monnaie française et qui colle avec le champ lexical.

Le second couplet est composé ainsi :

- Allitération en “S” 
- Assonance en “A” 
- Allitération en “L

Mais il est à noter que les premières mesures qui compose la lettre "Ç" mais les rimes seront en "I" avec les allitérations en "S". Son couplet est très riche en rimes, il va plutôt parler de sa famille, sa vraie et de jeunesse. C'est à mon sens, la partie la moins intéressante dans le morceau d'un certain point de vue mais toujours aussi bonne.

Le retour du "A"




 
La lettre est ici extrêmement présente dès le début de ses mesures. Il va faire une dédicace à Oxmo Puccino en roulant du tabac sur un de ses albums. Dans les célébrités à qui on doit beaucoup de choses, on peut y ajouter le très grand Yasser Arafat (1929-2004). Fayçal le cite et il a bien raison, cet homme politique égyptien de nationalité palestinienne a lutté toute sa vie pour mettre un terme au conflit Israélo-palestinien ou plutôt ce génocide. D'ailleurs en 1994 il recevra un Prix Nobel de la Paix mais quand on sait que finalement ce prix est remis par 5 Norvégiens nommés par le parlement norvégien..
Et on arrive fatalement sur le "L".

On lit dans les remerciements de l'album, qu'il honore avant toute chose : "mes prunelles, mes amours les plus sacrés, mes parents et mon frère avant tout, à ma famille d'ailleurs..."

Comme on a pu le voir, il est très famille, il en parle dans d'autres textes et même dans celui-ci. D'une façon générale, les peuples africains sont très proches de leur famille et les mettent souvent à l'honneur. La suite n'est pas simple à interpréter comme toujours avec ce rappeur mais c'est que c'est bon signe car de qualité. Aucune prétention avec cet article hormis de vous éclairer un peu sur ce bijou technique et de vous faire découvrir de nouvelles choses.



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