[Chronique son] Eminem - 'Till I Collapse feat Nate Dogg



À ce jour et après des décennies d'écoute de musique rap de qualité, je n'ai encore JAMAIS, oui jamais entendu un morceau plus technique et complexe que celui-ci. Je parle ici exclusivement de la performance d'Eminem qui était à ce moment-là, au sommet de sa forme. Sur tout l'album, et même sur l'album précédent, il délivre des couplets de qualité, il mange tous les rappeurs en feat avec lui, il détruit toutes les productions. Tous les artistes, les fins techniciens et les belles plumes reconnaissent qu'il est au-dessus de tout. Et dans ce morceau la plus que tous les autres, on se rend compte de son immense talent. Et je m'adresse vraiment aux "hip hop headz", ceux qui vont plus loin que la sonorité ou que l'ambiance, ceux qui écoutent et analysent. 

Quand on parle de Shady, la plupart des gens ne voient pas le  côté technique, et c'est déplorable. Eminem le sait, mais il souligne aussi les auditeurs qui vont remettre retour rapide 20 fois pour réécouter un passage du morceau où il excelle. Il fait partie des très très rares rappeurs a pouvoir sauver un morceau, à remonter le niveau d'une musique rien que par sa prouesse au micro. C'est-à-dire, que même si la production est complètement nulle, lui par sa qualité, rendra le son bon. Alors qu'en général, quand la production ne nous plaît pas, on zappe. Ici, tout est réuni pour donner le morceau le mieux écrit de l'histoire du rap. Et vu la tendance actuelle, je pense qu'il restera le meilleur morceau en terme technique de l'histoire du rap.

Sample et introduction par Eminem 


L'intro n'est pas anodine, elle ressemble étrangement à l'intro du classique (l'un des meilleurs singles du rap au passage) Lose Yourself. Et à la fin du morceau "Soldier" présent aussi dans ce même album. Il nous dit clairement de ne pas abandonner même si on se sent au bord du gouffre et qu'il y a peu ou plus d'espoir. Mais c'est aussi un message pour lui, et c'est au plus bas qu'il trouve la force de revenir plus fort. 

Dans son premier album officiel : Slim Shady LP, un de ses tous meilleurs morceaux parlé déjà de ce thème avec : Rock Bottom. Le titre 'Till I Collapse veut dire "Jusqu’à ce que je m’effondre" et dès lors qu'on poursuit un but, on sent du désespoir, de la fatigue, mais aussi de la confusion, de la peur... 

Jusqu’à ce qu'on entendît le morceau, on était prêt à abandonner. La rythmique que tout le monde a reconnue est samplé d'un autre chef-d’œuvre de Queens : We Will Rock You. Donc oui une merveille en appel une autre, et Em' s'est ensuite occupé de jouer du piano et la mélodie tandis que Steve King s'est chargé de la basse et de la guitare. Le rappeur a déclaré que c'était l'une de ses meilleures productions. 

Bien que le morceau ne soit jamais sorti officiellement en single, il a souvent squatté les charts à travers le monde. Le morceau a souvent été utilisé par des clubs de sports et autres. Il a même été utilisé pour une grande franchise de jeux vidéo : Call Of Duty. Passons aux choses sérieuses.



Premier couplet - Mise en bouche

Je ne sais pas si c'est volontaire, mais 75 % des mots trouvent une correspondance en rime entre eux ! Incroyable. C'est encore plus complexe qu'un livre religieux. Donc on aurait en gros 39 mots sur 158 qui ne riment pas. Qui avant ou après lui est arrivé à un tel score ? Pour lui, le rap est vraiment un jeu d'enfant ! Première phase, STOP !

'Til I collapse I'm spillin' these raps long as you feel 'em 
'Til the day that I drop you'll never say that I'm not killin' 'em

Je ne parlerai pas du schéma de rime de suite, ce qui m'intéresse ici, c'est la façon dont il prononce le "feel'em" (les ressentir), on dirait que ça le traverse complètement au point qu'il les sente ses rimes. Le "em' à une double signification, la première est l’abréviation de "Them" et l'autre pour dire Eminem. Le mec rappera toujours et tant qu'il ne se sera pas effondré, si tu ne ressens pas ses rimes, ses disques de platine ne sont rien pour lui si ce n'est pas le meilleur. Il dit lui-même que s'il n’honore pas le hip hop, il lâchera le micro. 

Mais encore une fois, il le dit lui-même et il le sait très bien que ces messages subliminaux (ses rimes difficiles à déchiffrer) ne seront pas perçus par tout le monde et sûrement pas à la première écoute. Il parle d'adrénaline avec un double sens, le premier est qu'il carbure lui-même a tout un tas de cachetons et autres, mais aucun ne peut le guérir de sa folie et le rendre par conséquent, moins bon dans le rap. Et bien qu'il prenne des médicaments qui agissent sur la gorge, elles ne peuvent "contenir" ses rimes de malade. Les médias, les personnalités, les politiciens ont critiqué ses morceaux, mais combien ont analysé la complexité de ses textes ? C'est le comble. 

Le dernier couplet fait référence à la pop qui le suivra durant longtemps dans sa carrière, entre ses featurings et ses clashs avec les artistes pop... Il demande donc à la fin, est-ce que son succès va durer, est que comme les boissons gazeuses, une fois que les bulles sont partis, il n'y aura plus rien. Quelque part, il s'en fout de ton avis, car il continuera à rapper. Il montre aussi clairement que depuis son arrivée en 98, le rap et le R'NB n'ont cessé de se hisser dans les charts. Coïncidence ? Je vous mets ici le schéma de rimes du premier couplet. Les mots en noirs sont les seuls qui n'ont aucune correspondance. Fiez-vous à la prononciation et pas forcément au lettrage.

Till I collapse I'm spilling these raps long as you feel 'em
Till the day that I drop you'll never say that I'm not killing 'em
Cause when I am not/then I'ma stop (then I'ma stop penning them)
And I am not (not) hip-hop and I'm just not (and I'm just not Eminem)
Subliminal thoughts/when I'ma stop (when I'ma stop sending themwomen are caught in webs spin 'em and hawk (spin 'em and hawk venom a-)
'drenaline shots of penicillin could not get the illing to stop.
Amoxacilin's just not real enough.
The criminal cop (copkillin' (killin') hip-hop villain, a minimal swap (swap) to cop millions of Pac (Pac listeners)
You're coming with me, feel it or not you're gonna fear it like I showed you the spirit of god (god lives in us)
You hear it a lot, lyrics (lyrics) that shock is it a miracle or am I just a product of pop fizzing up
For shizzle my whizzle (this is the plot) this is the plot listen up (plot listen up) you bizzles forgot slizzle does not give a fuck (slizzle does not)


La touche du maitre : Nate Dogg


Bien différent de ses refrains habituels, mais quel coup de maître encore une fois ici. Sa voix rocailleuse ici fait penser à l’effondrement de la maison. On dirait vraiment qu'elle vient des entrailles et qu'elle accompagne le toit qui s'effondre sur nous. Et malheureusement pour cet immense artiste, c’est ce qu'il a fait. Chanté jusqu'au bout. À noté que les lyrics présents dans le livre ne correspondent pas à ce que chante Nate Dogg, cela concerne juste deux mots qu'on entend clairement dans la version a cappella. Pour quelle raison ? Les lyrics ont sûrement dû être imprimés et changés au moment de l'enregistrement. Ça ne dénature pas le sens. Continuons sur le deuxième couplet, la pression monte, le flow est encore plus tranchant et l'énergie déployée y est décuplée. 

Il démarre en nous parlant de la musique en la comparant à la magie. Il utilise lui-même un tour en disant, que si tu n'es pas tout le temps au top, tu disparais et on t'oublie. Ce que font les magiciens depuis toujours. Viens un moment où chaque artiste, sportif, peintre, écrivain, danseur... atteint son apogée, s'il ne se saisit pas de ce moment qui peut durer longtemps ou être très bref, alors il ne fera plus rien. C'est comme un(e) inconnu(e) qu'on croise, une fois qu'elle est passée, si on ne lui donne aucun moyen de se revoir, on ne pourra plus rien espérer. 

Il faut tout donner à un moment précis quand l’occasion se présente, et si on ne le fait pas, alors on ne pourra plus. Mais il faut aussi savoir dès qu'on s’essouffle, peu importe si nous n'avons pas eu ce que l'on mérité, on a vidé notre réservoir, le temps est révolu, les gens veulent voir autre chose. Avant de nous balancer sa liste de rappeurs préférés, il nous dit aussi qu'il en a marre de ces rappeurs à 2 clous qui viennent ternir l'image du hip hop. 


Il commence donc en citant Redman qui a une influence sur lui dû à son style horrocore (mélange de hardcore et de textes tourné vers d'horreur). Il place ensuite Jay-Z, 2 Pac & Biggie. Vient ensuite André 3000 (Outkast), Jadakiss qui a reçu un appel d'Eminem le félicitant d'une ligne sur un de ses morceaux. Jada qui appréciait aussi Eminem lui a proposé de poser sur un son suite à cet appel. Kurupt (Tha Dogg Pound) vient ensuite, par la suite il a confié avoir eu le sourire durant un mois après avoir entendu ça. Il conclut par Nas. Qui selon moi devrait être le seul dans cette liste. Il est à noter que cette liste n'est pas vraiment claire, il a placé les noms de la sorte pour que ça colle à son flow et au morceau. Car plus tard, il dira qu'il est lui-même dans le top 3. 

Qu'il a gagné 6 places et sorti Redman de la liste. Dans tous les cas, il est clairement au-dessus de tous les artistes cités bien qu'avec Nas, un débat est possible. Il dit par la suite que son succès dans l'industrie est à l'origine d'énormément de jalousies et de rage, mais tu dois le respecter. Et si tu ne peux le respecter artistiquement, alors fais-le commercialement, car ce qu'il a réalisé est du jamais-vu. Pas forcément complet et bien détaillé, mais voici le deuxième couplet.
 



3ème et dernier couplet, l’apothéose ou quand le meilleur couplet de l'histoire est né


À noter que c'est l'un des seuls couplets de l'album qui ne possède aucune injure. Il a atteint ici le point du non-retour, le point où tous les astres sont alignés, les portes d’Éden se sont ouvertes à lui. Jamais, je dis bien JAMAIS, il ne remontera à un tel niveau, la complexité des rimes donne mal à la tête. Les assonances en "A" sont innombrables. C'est aussi le couplet qui lui demandera le plus d'énergie et le flow le mieux maîtrisé, jamais une telle technique n'a était déployé sur un seul et même couplet avec une telle précision. Tout est parfait, le ton monte, les chœurs de Nate, tout semble annoncer la fin, comme un dernier coup d'éclat. 

La performance est incroyable, il ne l'a d'ailleurs jamais réalisé une nouvelle fois. On a l'impression qu'il mange le micro, qu'il va sortir des enceintes et qu'il va réellement venir te bouffer le cœur ! Il met en garde tous les rappeurs qui oseront le clasher et il y en a eu. Il les a TOUS (hormis peut-être Canibus) annihilé. Vraiment, aucun n'en est ressorti indemne, il a au minimum brisé leur carrière. Il s'est fait connaître grâce aux clashs et aux battles, il est donc très provocateur, mais il excelle. Il est aussi en colère sur le fait que les gens prennent tous ses propos au sérieux alors que ça reste de la musique. Il revient encore une fois sur le fait que les gens s'attardent sur ses textes offensant plutôt que sa technique. 

Le fait qu'il soit blanc et populaire dans une musique de noir à l'origine. Donc les gens ne vont pas reconnaître son talent, mais plutôt voir un blanc qui réussit dans de la "black music". Son but comme tous les autres rappeurs est d’être le meilleur. La mort ne l'effraie pas, c'est plutôt le fait qu'on ne l'écoute plus et qu'on enterre sa musique après sa mort qu'il l'effraie. Mais comme sa musique est bonne, on l'écoutera et on le fera vivre à travers celle-ci. Il est donc immortel et imbattable dans le rap, seule sa mort l’arrêtera, pas un rappeur. Il est un addict du rap, il ne peut s'en passer et dans une interview, il a montré comment il écrivait ses rimes. Dès qu'il a un truc en tête, il le pose sur la feuille, il a plein de rimes éparpillées de partout. Le schéma de rimes du dernier couplet, le plus complet et complexe jamais écrit dans le rap.
 


 
On va finir avec les deux dernières phrases qui méritent une explication :

‘Cause I don't really think that the fact that I'm Slim matters


Il y a ici un jeu de mots. "Slim" en anglais renvoi a ce qui est maigre, petit, fragile... Pour lui, peu importe, il ne tombera pas malgré le nom de son alter ego.

- Il veut aussi dire par là qu'avec ou sans son alter ego, ses gimmicks et autres, il reste lui-même et il demeure le meilleur.

- Enfin le mot "matters" se prononce comme Mathers qui n'est autre que son nom : Marshall Mathers.

- Dans la plupart de ses morceaux, il fait parler ses différents personnages : Eminem, Marshall Mathers ou Slim Shady. C'est le moment où là, il explique qu'il a le contrôle sur lui et ses alter egos. C'est lui qui a le dessus sur tous. C'est le vrai meilleur rappeur de l'histoire, il bouffe tous les alter egos déjà existants.. Slim Shady est le côté violent, misogyne et autres. Marshall est le côté réfléchi, introspectif.  

Eminem lui est l'artiste, celui qu'on aime entendre déballer ses rimes. Il est donc le meilleur rappeur malgré ses alter egos, il n'a pas besoin d'eux. C'est une suite logique à ses propres albums : Slim Shady LP, Marshall Mathers LP et Eminem Show. Il a tout englobé et il a mûri pour arriver à un tel niveau.

Il finit le morceau en humiliant presque les awards en disant que s'il n'est pas le meilleur et le plus respecté, les récompenses commerciales sont inutiles. Ce qu'il veut lui, c'est qu'on lui reconnaisse sa qualité artistique avant tout. Logiquement, en arrivant à ce point de la lecture, vous êtes censé, vous inclinez. Sinon j'ai mal rédigé mon article où vous en voulez plus. Des suggestions, des corrections, des questions... Je prends.
 

Le morceau :


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