[Chronique Son] Oxmo Puccino - L'enfant seul



"Cet album, on l'a fait sans pression. On a tout simplement essayé de s'amuser, et quand tu fais de la musique en t'amusant tout en restant professionnel, sans tricher, les gens le ressentent. Ce que je retiendrai toujours de ‘L'Enfant seul’, c'est le jour de l'enregistrement au studio Polygone, à Toulouse. Au moment de poser, Oxmo avait besoin de rentrer dans la vibe, pour amener tout le contenu. Alors on a éteint la lumière, et il a posé dans le noir, avec des bougies autour de lui. Ça, c'est un moment fort que je garde en moi. C'est bien d'avoir un son qui tue, mais quand tu n'as pas l'artiste qu'il faut, la voix qu'il faut, tu ne peux pas remplir le morceau. Aujourd'hui, tout le monde veut que la musique soit à fond. Mais la musique a beau être forte, si l'artiste n'apporte pas les 50% manquants, le morceau ne servira à rien. C'est aussi pour ça qu'aujourd'hui, il n'y a plus autant de classiques." -  propos de Dj Mars.

Le message est fort quand même. On est bien dans l'age d'or du hip hop, la ou les plus grands classiques sont nés. Les premières lignes illustrent bien tout ça  :
"T'es comme une bougie
Qu'on a oublié d'éteindre dans une chambre vide 
Tu brilles entouré d'gens sombres voulant t'souffler"

Donc on comprend qu'il s'adresse directement a l'enfant seul, tentant d'apporter un peu de lumière dans l'obscurité. Beaucoup de profondeur dans ces morceaux bien que la métaphore pourrait paraitre ambigu car qui sont ces gens dans cette chambre vide ? Surement des ombres, son imagination, des choses qui lui font peur. Au sens plus direct, l'enfant ne comprend pas le monde extérieur, ce qu'il entoure car oublié par la société. Et le fait de briller peut signifier que lui est dans le droit chemin ou essaye du moins tandis que d'autres personnes tentent de le faire dévier.

Aussi il faut noter que "les bougies ont souvent été à l'origine des incendies dans les squats où il n'y a pas l'électricité.
L'enfant seul risque de mettre le feu parce que personne ne le calcule…".

Étant petit, on avait toujours un enfant triste, avec moins de jeux, pas trop aimé. Hors on ne comprenait pas son regard plein de mépris et on était cruel envers lui. C'est bien en grandissant qu'on s'en rend compte et qu'on réalise ce qu'est la société actuelle.  "L'enfant seul se méfie de tout le monde, pas par choix, mais dépit / Pense qu'en guise d'ami son ombre suffit".

La confiance ne se donne pas si facilement et c'est pas nouveau. Par contre son ombre l'a acquise totalement car elle accompagnera jusqu’à la fin et ne le trahira pas. Il joue aussi sur les sonorités avec "ombre" et "nombre". Il est seul et n'a personne avec qui jouer donc il se suffit a ce nombre. Mais l'ombre est souvent utilisé comme métaphore pour se parler a soi même, écho d'atmosphère sombre et de solitude. Les rimes qui suivent nous expliquent bien que c'est pas un portrait robot qui est dressé, ce n'est pas forcément un enfant né seul mais ça peut faire suite a des conséquences.



Le couplet se termine sur une note de maitrise technique de la langue française :
"Que le coup de gueule muet de l'enfant seul 
Que nul ne calcule" jugez donc.

"Comme nous l'avons vu avant, la haine et la tristesse dans les yeux de ces enfants sont vus par ses camarades qui sont à cet âge cruels et manquent de maturité pour déchiffrer ces sentiments. D'où l'oxymore : Coup de gueule / Muet. Le bruit de la rage dans le regard, la timidité de la peur l'empêche de crier, il ne saurait mettre des mots sur sa haine."

Nul ne calcule” renvoi donc aux “gens sombres” on notera un petit champ lexical des maths : Égal / Nul / Calcul."

Le second couplet commence tout aussi fort  "Mes mots s'emboîtent les gens s'y voient comme dans une flaque d'eau Ça leur renvoie un triste reflet, mais est-ce ma faute ?".

Les gens découvrent la tristesse de la réalité en regardant leur reflet. Flaque d'eau a lieu de miroir car ça peut renvoyer a la tristesse, au sentiment de grisâtre, après la pluie elle se forme et d'une façon pas très net. Chaque enfant seul peut donc s'y retrouver. La difficulté pour l'enfant seul c'est qu'il pense que personne n'est au courant de sa situation et pense souffrir seul. 

Ce qui fait que c'est d'autant plus surprenant qu'un type comme Oxmo est au courant.
"La fuite et le suicide, un pacte, une promo sans tract 
Pas trop de mots nobody n'a capté le sale souhait 
L'envie de se laisser par le cou pendu"


On a tendance a reproduire le schéma de ce qu'on a vécu, des parents souvent. Donc par défaut, un enfant qui a vécu dans l'isolement, dans la fuite va grandir avec cet état d'esprit. La fuite dans un  milieu familial et social désordonné et triste conduit souvent au suicide ou au suicide social. La fuite est donc une étape intermédiaire qui ne prévient pas comme une promo sans tract. Mais on a du mal a imaginer qu'un enfant seul veut se suicider, et en finir avec cette misérable vie jusqu'au drame.

Le suicide peut être vu comme un moyen d'expression, il manifeste ses sentiments et sa colère envers ses parents. Ils ont trop attendus pour lui donner l'amour dont il avait besoin et il ne pouvait plus supporter. Il perd sa vie et eux leur fils, c'est comme si il y avait deux meurtres. Il avait magnifiquement fini le premier couplet, voila qu'il récidive :
"Mes crises lancinantes, sentiments en ciment sinon 
Dans six ans on me retrouve ciseaux dans le crâne 
Dans le sang gisant"

L'enfant ne supporte plus la douleur et rien ne semble l'aider a éviter le suicide. Les sentiments en ciment renvoient a l'image du cœur de pierre. Le sang gisant revient sur cette idée de flaque d'eau sauf que cette fois c'est un autre liquide.

Et la ou c'est le plus fort, c'est du coté technique qui a était très bien analysé :
Techniquement, il s'agit d'une performance lyricale qui a marqué le rap français.
- L'allitération en S créé par un flow rapide d'Oxmo donne une impression de descriptions de scènes rapides, en contradiction avec la longueur de la période évoquée (“6 ans”). Elle colle parfaitement bien avec le fond du propos ici : la solitude, le vice, le danger. 
- L'assonance en “i”, voyelle provoquant un son aiguë, peut évoquer un cri de cet enfant.
- L'assonance en “en” peut évoquer la durée de cette souffrance. (notamment parce qu'elle est très prononcée).

L'ensemble donne une sentiment de flou et d'incompréhension. Ce qui n'est pas sans rappeler le statut de l'enfant seul. Chapeau l'artiste !


"Mon seul regret, c'est que ‘L'enfant seul’ ne soit pas devenu un vrai single dans le bon sens du terme – pas un truc grillé genre “Ouais, on va danser” – mais un single comme une reconnaissance, au-delà du rap. Oxmo était un auteur qui commençait à faire son nid. Au-delà d'être un bon conteur d'histoire, un bon rimeur en freestyle, c'est un mec qui avait de la profondeur. Ça ne tient qu'à moi, mais ‘L'enfant seul’ est LE morceau qui aurait pu déchirer. Ça aurait pu devenir un titre aussi attachant qu'une chanson de Jacques Brel." propos de Dj Sek.

Dans le troisième couplet, il continue la description d'un enfant seul, au fond de la classe, muet, ventre rond comme Coluche. Mais ça peut être aussi le gros dealer prêt a planté l'un de ses gars qui voudrait prendre sa place, car si c'est un dur (un os) aujourd'hui, c’était un tendre tout jeune (steak haché). Si les jeunes sont violents et usent de violence c'est pas dans le but de nuire mais c'est du a la souffrance. Et les enfants seuls ont donc inévitablement un manque affectif très dur a combler. On sait tous qu'on ne guérit pas de notre enfance, la maturité n'est pas un remède, au contraire.

Car on grandit, on comprend, on réfléchit, on rumine tout ça et on fait les comptes. "Même si la mère persévère" a noter l'homophonie avec "père sévère" qui n'aide pas forcément. Il en place d'ailleurs une pour Pit Bacardi, compère de longue date avec qu'il a commencé et qui lui a perdu sa mère. Il le répète très bien quand il nous dit qu'un homme peut paraitre très viril avec des poiles au torse. Il n'oubliera jamais ce que le beau père a fait vivre a la famille.

Le morceau est conclut ainsi :
"L'enfant seul c'est / toi, eux, lui, elle
Oxmo Puccino / voix de miel"

Parait simple mais ça à très bien était décortiqué, en voici la preuve :
"Ces deux lignes qui clôturent le morceau marquent, tant elles sont travaillées, aussi bien au niveau du texte lui-même et de sa rythmique propre, que du mix instrumental qui y est accolé. Pour analyser cette phase, on considère que chaque ligne se divise en deux parties, on a ainsi :

1) Concentrons-nous d'abord sur les deuxièmes parties de lignes 

"L'enfant seul c'est / toi, eux, lui, elle 
Oxmo Puccino / voix de miel"

On a deux mesures parfaitement parallèles, de 4 temps chacune, où chacun des mots tombent rigoureusement sur un temps, si bien que la deuxième ligne est rappée a capella, tant elle se substitue à la batterie par sa perfection rythmique (c'est là que le mix instrumental sublime le texte). D'ailleurs, ladite perfection n'est pas le fruit du hasard : Oxmo use d'une astuce – la diérèse – pour tourner cette proposition de 3 syllabes en une proposition de 4 syllabes. En effet, le mot miel se prononce normalement en une syllabe : [mjɛl] ; Oxmo, par cette diérèse, le décompose en deux syllabes : [mi]‘[ɛl]."

2) Enfin, du fait de cette symétrie parfaite entre les deux fins de lignes, on met inexorablement en relation les deux débuts de celles-ci : L'enfant seul / Oxmo Puccino.

Très juste, car si le MC sait si bien parler de cet enfant seul présent en chacun de nous, c'est bien parce que c'est surtout en lui-même qu'il sommeilla"


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