Les régions en France : Nouvelle Aquitaine [Partie I]


 

Voici une nouvelle rubrique qui comportera son lot d'articles. Encore une fois, l'idée est de partir à la découverte d'artistes (labels, structures....) talentueux, originaux et pas toujours connu du grand public. Je vous invite par ailleurs à me contacter pour me parler de vos artistes préférés ou me présenter directement votre travail. Je vais dans chacun des articles présentant un ou plusieurs artistes accompagnés de quelques extraits. Attention, je ne compte pas répertorier tous les artistes de la province, ce n'est pas un annuaire ou un carnet de contact. Je fais la part belle aux artistes qui mérite plus de reconnaissance selon moi.


Sonatine Musique

 

Si on évoque le rap du sud-ouest, Bordeaux se place comme l'une des villes phares de cette région. Ce succès est en partie au label indépendant fondé par le rappeur VII. Aux alentours de 2005, le label est créé et publie en 2006 le premier album de Fayçal "Murmures D'un Silence". L'album est produit par FCH et VII, véritable objet d'art, 10 titres avec des classiques intemporels dont : Grandeurs et décadences, Les vestiges de ma vingtaine, Un œil sur la planète, Vivants mortels... Si le disque manque parfois de punch et se concentre essentiellement sur le ressenti et les textes, il demeure intouchable. L'artiste impose un style très littéraire, rarement vu dans le rap, je plaçais Fuzati très haut en matière de textes, mais il doit s'incliner ici. J'ai déjà fait énormément d'éloges et rédigé plusieurs articles sur Fayçal, à retrouver-les ici :

 

[Chronique son] Fayçal - Mes points d'interrogations

[Chronique son] Fayçal - Grandeurs et Décadences

[Chronique son] Fayçal - Lettres de noblesses

 

 

 

 

Le second artiste à se présenter sur le devant de la scène est Dajoan Mélancolia qui s'était déjà illustré sur l'album précédemment cité. Si le duo de producteurs est exactement le même, les cartes ont étaient redistribués. En effet, sur 14 morceaux, VII en produit 10 à lui seul ! Il a un style très cinématographique, il scénarise, raconte, créer une image... Sa rencontre avec Fayçal s'est faite alors que ce dernier est venu s'installer à Bordeaux pour ses études. Dajoan qui était disquaire à la Fnac l'a alors rencontré et comme le rap dans la ville était encore discret, ils se sont rapidement retrouvé autour du micro. Son pseudo est en fait les deux premières lettres de ses 3 prénoms, il est d'origine catalan et mélancolia correspond au rap qu'il livre (en somme). Son album "Caché Au Fond Du Paysage" est sorti en 2006.

 

Le meilleur morceau de son album "Caché au Fond Du Paysage" est le morceau éponyme, tout simplement. Le sample de violon est tout bonnement splendide, le Mc se balade dessus, un refrain qui arrive après un unique couplet et une outre pour conclure. Dans un style plus classique dans la structure "Épaisse carapace" est également magnifique, il me fait beaucoup penser à "Mémoire" de Shurik'n tant le beat que le rap. Et quand on sait à quel niveau je place, que dis-je LES GENS placent " Je Vis", c'est très révélateur. L'album est une belle entrée avec la matière avec : Simplicité (feat Baccarat), Solitude (interlude), Omniprésente morosité, Jardin secret (feat Fayçal), Éphémère (feat VII)... Et pour conclure comme il faut l'album, il nous propose un remix : Cachés au fond du paysage (Remix) Featuring Littledemo, 16, J.day, Drago, Fayçal et VII. Des artistes bordelais donc hormis les deux premiers mentionés, ils sont en tout cas tous bons dans leur prestation. Dajoan a réalisé un second album : "Mes Pierres Angulaires", il n'a hélas jamais vu le jour bien qu'il soit terminé (wait and see). Il a ensuite réalisé l'album "Pangea" avec l'artiste barcelonais Herida Abierta. Pour la suite, l'artiste prévoit de publier un EP, vous pourrez le retrouver sur scène à Bordeaux très prochainement.

 

 


Sans surprise, le troisième artiste à dégainer est VII en 2007 avec "Lettre Morte". Tout le projet est produit par lui-même hormis quatre morceaux laissés à son associé du label. C'est le premier album d'une longue série, mais ce sera son seul et unique album sur le label. Il a un style (surtout dans ce projet) qui se rapproche énormément de Necro qui s'est démarqué aux USA avec un son morbide, hardcore, sexiste.. Il est l'un le pilier du rap horrocore en France, c'est du rap hardcore mais pas gangsta, les références sont plutôt du coté de l'horreur (films), textes violents, du sexe (violent) et surtout de la violence. Mais on ne peut réduire ce style à une seule image sombre, il est souvent engagé, critique envers la société et riche d'enseignements. Ce n'est pas un album que j'ai personnellement écouté à un moment donné et je ne peux donc pas vraiment en parler. Néanmoins, il y a de quoi dire dessus, à commencer par la pochette qui est un clin d’œil à "The Diary" de Scarface, rap star de Houston. 

Voilà ce que dit l'artiste sur son album :

"La sortie d'un premier album est toujours enthousiasmante, mais celle-ci s'est rapidement transformée en chemin de croix. J'en plaisante aujourd'hui mais nous n'avons pas construit Lettre Morte dans des conditions idéales, loin de là : problèmes avec le studio d'enregistrement, avec la SACEM, avec le presseur, etc… pour au final recevoir 1000 albums invendables que l'on a détruire. Au moins cela nous aura servi de leçon : ne plus rien déléguer à des gens extérieurs au label. Mais au final l'opus est sorti (avec plus de six mois de retard). Cet album regroupe douze années d'expérience et d'influences diverses. Je pense que les gens ont aimé ce mélange de textes introspectifs et de lyrics gores.

 

J'ai volontairement décidé de mettre en avant les morceaux les plus brutaux pour me placer d'emblée dans une démarche totalement anti-commerciale. J'ai découvert mon public : des métalleux, des pseudo-punks, des gothiques, des pouffiasses, des junkies, des maniaco-dépressifs… et peu de véritables amateurs de rap en fin de compte. On venait me parler de drogue et de suicide, on se confié à moi comme si j'étais le porte-drapeau des paumés du coin. On me disait le plus grand mal du rap… constamment. On prétendait parfois que j'avais créé un style nouveau. Pourtant mon rap trouve ses racines avant tout dans le rap lui-même ; pour preuve la pochette de "Lettre Morte" est une référence à l'album The Diary de Scarface.

 

Lettre Morte sort donc en 2007, dans une période ou le Dirty South (celui des clubs) explose. Sonorités synthétiques et rythmes très lents sont à la mode. Lettre Morte est un album qui tourne le dos à son époque et à ces codes avec de gros beats comme ceux du rap des 90’s et des samples mélodieux connotés « rap français ». Les textes sont empreints de désillusion et de noirceur et le flow basique et précis permet une compréhension claire des textes. Mes productions et celles de 2FCH sont simplement conçues pour soutenir l’impact des lyrics et les accompagner sans jamais leur voler la vedette.

 

Naïvement nous avons posté cet album à la plupart des gros de la presse et des webzines rap, ainsi qu'aux différents distributeurs… aucun retour, aucune réponse. Rien de grave pour nous, la politique de Sonatine était déjà de travailler en autarcie totale (sans grand featuring, sans beatmaker extérieur et avec une promotion très limitée.) Et puis nous avions déjà la tête plongée sur la prochaine sortie du label, une compilation produite par 2FCH et regroupant les artistes de Sonatine Musique : Saison Grise."

 

 


Voilà il a tout à fait résumé le truc, c'est clair, net et précis. Ce qui me permet de présenter "Saison Grise", dernier album de rap français sorti sur le label. Le mieux est de questionner 2FCH :

Avec le recul comment perçois-tu la compilation Saison Grise que tu as produit en 2008 ?

Je pense que cette compil' est bonne dans l'ensemble; après, l'univers que je voulais créer n'est pas exactement là à l'arrivée; il y a un côté trop aseptisé qui me dérange; On n'a pas réussi à gérer ça. On me dit souvent que cette compil' reflète la diversité des artistes de chez Sonatine… J'approuve, mais dans ma vision du truc j'étais déjà dans le délire Rap and Revenge, donc il a fallu composer. Grâce à des morceaux comme "Cet automne", "Personne n'en sortira vivant", ou "Esclave de Satan", on ressent bien l'univers morbide et sombre qui nous caractérisera plus tard lors de l'élaboration des divers albums de VII.

 

Je trouve aussi très réussi les morceaux de 16 ainsi que celui de Littledemo. Pour être franc, je trouve que 2 morceaux ne sont pas au point du tout: "Vents et marées" et "L'état des âmes". Parfois l'alchimie entre le son et le rappeur ne fonctionne pas ! Je trouve que Saison grise reste un bon album, qui est quelque part le point final à l'aventure Sonatine. Je reconnais avoir manqué de maturité et d'investissement. Si je sortais un projet aujourd'hui, les choses seraient différentes, il y aurait moins de rappeurs, que des MC’s aux lyrics torturés façon Rap and Revenge, et surtout des beats plus aboutis et barrés ! En attendant de trouver ces MC’s, je mets parfois quelques beats de côté, au cas où.

 

 

 

 VII s'exprime également sur l'album :

Difficile d'obtenir une cohérence sur un album solo, ça l'est encore plus sur une compilation regroupant des artistes aussi variés que ceux de Sonatine Musique. 2FCH avait opté pour une compilation très sombre, j'ai donc construit mes 5 titres solos autour d'un axe précis : la haine. Avec "Cet automne" je m'en prends au rap et ses « bad-boys de catalogue », puis sur "Personne n'en sortira vivant" (hymne à la misanthropie) je m'attaque au monde entier sans distinction. Puis arrive un morceau beaucoup plus personnel sur mon père (Un Détail Infime) mais tout aussi haineux. Je ne voulais pas que ce titre face partie de mon prochain album solo et j'aimais l'idée de poser un titre si personnel au milieu d'une compilation.

 

"Appel au meurtre", quant à lui, est une longue séance de torture sur la personne de Laurent Bouneau (grand ponte de Skyrock). La compilation s'achève sur "Esclave de Satan" où j’entre dans la peau du gourou d'une paroisse satanique. Deux de mes morceaux de "Saison Grise" étaient initialement destinés à "Jardins Macabres" (album de 2008) mais ont servis de substitue à des titres d'artistes s'étant désistés pendant la création de "Saison Grise". Au final, tout ceci m’a permis d'affiner mon écriture et d'entrer dans une démarche nettement plus violente… car j'avais déjà décidé que mon prochain opus serait sans concessions.


L'album est d'une grande qualité avec des morceaux comme : Royaume d'hystérie (16), Heures éternelles (Fayçal), L'État des âmes (Dajoan Mélancolia), Vents et marées (Fayçal), Un détail infime (VII), Un soir parmi d'autres (Littledemo), Des anges parmi les anges (16 et Fayçal), A part ça (Dajoan Melancolia)... Vraiment une belle galette et l'une des meilleurs compilations du genre. Il est bien dommage que le producteur n'est pas récidivé. Par la suite, il va principalement collaborer avec son associé de toujours. Le label va ensuite fermer ses portes pour laisser place à un nouveau label "Rap And Revenge". Pour être vraiment complet, en 2015, le groupe Beyond The Grave (USA ?) sortira l'album "Visons Of Mithra" sur les deux labels. Après cela, rien d'autre ne sera publié, dès 2008 c'est R&R qui prendra le relais. On conclut donc cet article sur l'excellent dernier projet (officiellement) qui est la compilation du producteur du label. Hormis Fayçal, tous les autres artistes semblent avoir arrêté la musique ou n'ont plus sorti de projet en tout cas


Pour plus d'infos sur VII sur mon blog :  [Chronique Son] VII - Capturés De Bonne Heure

 

 

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