Saigon : L'étoile filante de New York


 

Cet article fait suite à mon dossier Où est passé le rap made in New York ? Maintenant que tout est en place, je vais proposer quelques éléments de réponse et quelques solutions pour les amoureux du rap new-yorkais. J'ai entendu beaucoup d'avis sur d'autres rappeurs mais ils ne m'ont pas convaincu. Lui, par contre avait tout pour réussir.


Si aujourd'hui, il est l'un des rappeurs qui délivrent énormément de messages positifs, il faut remonter aux sources. Il n'aurait peut-être jamais fait de rap à en croire l'histoire et serait rester dans l’anonymat. a New York en 1977, une vingtaine d'années plus tard, il ira en prison pour agression avec une arme à feu dans un bar. Tout se joue ici, il rencontre un type qui fait du rap positif, qui écrit des paroles sensées. Il se met à faire pareil, il est inspiré et écrit même des freestyles qu'il durant des joutes verbales. Il choisit le nom Saigon, car il a lu un livre sur la guerre du Vietnam, ça l'a inspiré. Le nom officiel de la vie est " Chi Minh" en hommage à un homme d'État vietnamien qui fait maintenant objet d'un culte de la personnalité à travers le monde. Le Vietnam fut occupé par la France de 1887 jusqu’à 1954, c'est ce qu'on appelle l'Indochine.


Revenons en 2000 pour mieux comprendre, Saigon sort de prison et veut se lancer dans le rap. Il sort alors mixtapes sur mixtapes pour se faire remarquer et signer un contrat. Il se fait un nom dans les rues de New York, il gagne en notoriété et en 2004 il rejoint le label Atlantic Records qui est un très gros poisson. Sa première mixtape sort aussi en 2004 "Warning Shots" avec des productions de Scram Jones, Alchemist, Agallah... Très prometteuse, on se rend compte qu'il est très bon au micro et qu'il faudra compter sur lui. C'est une époque les mixtapes ont le vent en poupe, outre les 50 Cent et Chamillionaire qui se sont imposés avec cette technique commerciale, beaucoup d'artistes tentent leur chance. C'est rapide à réaliser, nul besoin de proposer un vrai concept d'album, freestyle, face b, tout est bon et c'est facile à vendre ou à diffuser. Le tout est juste que le nom circule et que le buzz prenne.

 

 

 

En 2006, il s'associe aux rois des mixtapes : DJ Drama et sort "Welcome To Saigon". Toujours dans le même principe, inondé le marché, faire du buzz, placarder son nom et son style de partout. Toujours pas rassasier, il sort la même année "The Return Of The Yardfather" en faisant intervenir : DJ Kay Slay, Stic Man (Dead Prez), Scram Jones, Just Blaze, 9 Th Wonder, Trey Songé, Q-Tip, Clinton Sparks...

Commence en 2007, la vraie collaboration de sa carrière, celle avec Just Blaze, producteur qui a explosé en 2001 sur l'album "Blueprint" de Jay-Z. Album devenu classique depuis, producteur que tout le monde s'arrache, c'est donc très rassurant de l'avoir à ses côtés. La mixtape se nomme "Saigon & Just Blaze - The Moral of The Story" mais cela n'est toujours pas suffisant. Il continue donc les mixtapes : Belly of The Beast - The Scram Jones Files ‎(2007), Saigon & Statik Selektah ‎– All In A Day's Work, Warning Shots 2 (2009), les années passent et toujours pas d'album en vue. Il est à noter que toutes ses mixtapes sont sorties sous différents labels : Abandoned Nation, Sure Shot Recordings, Jazzy Fresh Records...

 

 

The Greatest Story Never Told

 

Et maintenant tout se complique, Atlantic Records en signant Saigon lui a imposé les conditions pour que son album voit le jour, sortir 3 singles ensuite il fera ce qu'il veut de l'album. Ce qu'il a refusé car le label connaît le style de musique de Saigon et ce n'est pas son genre de changer de style pour s'adapter. L'album était déjà terminé mais le label souhait par le sortir et n'a pas arrêté de le repousser, au final, il ne sortira pas sous ce label. En 2009, il rompt son contrat et signe chez Suburban Noize Records (Kottonmouth Kings, Madchild, Sen Dog, La Coka Nostra....).

Cette fois nous y sommes ! Le 15 février 2011 sort l'album tant attendu "The Greatest Story Never Told". Just Blaze produit quasiment tout l'album, laissant apparaitre à ses côtés Buckwlid ou encore Kanye West, rien que ça ! Just Blaze déclarera également qu'il voulait créer une relation solide avec Saigon avant de commencer à tafer l'album. Malgré la qualité de l'album, le buzz étant bien retombé, de nouveaux artistes ont émergé, les projecteurs sont moins tournés vers New York et pas mal des fans ont perdu leur patience. Les ventes ne sont clairement pas à la hauteur du projet (20 000 en un mois) mais les critiques sont unanimes. 

 

 

Le son qui m'a le plus marqué à l'époque et que j'écoute toujours avec la même passion c'est "Better Way" où Layzie Bone des Bone Thugs signe un excellent refrain. La collaboration a de quoi surprendre et pourtant le mélange est parfait, Layzie ne rappe pas le refrain, il le chante. Le talent qu'on lui connaît est resté intacte depuis des décennies, il accompagne parfaitement la boucle de piano de Just Blaze. Dans ce morceau, il explique qu'il souhaite juste s'en sortir dans sa vie, et quoique son passé soit derrière, il est toujours à ses trousses. Il est connu pour être un rappeur assez nerveux et il ne se laisse pas marcher dessus. À ce sujet, en 2007 après un concert, Prodigy (R.I.P) l'insulte et il s'embrouille, le rappeur de Brookyln donne deux coups de poing au visage de la moitié de Mobb Deep. Les membres du crew du QB courent après le mc mais rien n'est à déplorer, des vidéos sont ensuite publiées.

 

Le beef a commencé car Tru Life avait un différend avec Pee à cause d'un couplet qu'il devait poser, il lui devait donc 15.000 $ et comme Saigon est un proche de Tru, il s'en est mêlé. Ce n'est pas la seule histoire qui entoure ce rappeur si talentueux et pourtant dans l'ombre. Il ne règle pas ses comptes dans ce morceau mais il ne cache pas que pour "s'en sortir", l'argent soit un moyen bien que sa musique ne soit pas destinée à cela. Ce n'est pas un son qui restera dans les mémoires du grand public et pourtant il est tellement réussi. Bun B assure sur l'excellent "And the Winner is...", ici il semble tous les deux s'adressaient à un traitre ou un ami pas sincère.


Le morceau "Enemies" est aussi une belle réussite, il personnifie le ghetto et se remémore les mauvais moments et la douleur qui lui a infligé. La morale est que la rue n'est pas ton amie. Quand on invite Devin The Dude sur un morceau, généralement on parle de choses sympas à entendre ou pour se détendre. Ainsi "What The Lovers Do" ne déroge pas à cette règle. Ce morceau bien charmant démontre tout le savoir-faire du rappeur de New York s'adaptant ainsi à tout. Tous les sujets se retrouvent dans son album et la maitrise est le mot d'ordre. Avec les participations de Marsha Ambrosius, Faith Evans ou encore Raheem DeVaughn, l'album prend une tournure très soul. Il trouve toute son empreinte dans les rues de sa ville natale, si aujourd'hui, il fera moins d'effets à ceux et celles qui le découvriront ; on ne peut en dire autant en 2011. Il venait aussi signifier la fin et le début d'une autre ère, le rap qu'on avait l'habitude d'entendre. Le rap par excellence et comme on le concevait à une époque. Le morceau "Come On Baby" avec Jay-Z et le bon riff de guitare et ce sample bien rock'n roll propre à Blaze ravira surement les nostalgiques. 

 

 

Le single "Bring Me Down Pt. 2" a bien eu son visuel, une production très énergique qui vient accueillir toute la rage du rappeur. On sent vraiment qu'il a quelque chose à dire, quelque chose à récupérer et exposer, ce son accompagne parfaitement la démarche. Difficile de comprendre pourquoi malgré tout ce casting, son talent, la qualité de l'album, les invités (Q-Tip, Black Thought, Fatman Scoop...) l'album est autant oublié par les auditeurs. Il y a pourtant mis les moyens. Le morceau "Oh Yeah (Our Babies" est l'un des meilleurs morceaux de l'artiste, son dernier couplet est remarquable, extrait :

"These niggas do vocal booth crimes, I shot niggas multiple times

You sold a few dimes, but when you rapping, you the crack king

I sold it to whites when you thought it was just a black thing

I'm filled with this realness, rappers happen to lack it

I'm flabbergasted you got a platinum plaque for that wack shit

All the real gangstas, they on their way to bein dead or in jail

They don't make records to sell"

(Ces négros font des crimes dans studios, j'ai tiré plusieurs fois sur des négros

Vous avez vendu quelques centimes, mais quand vous rappez, vous le roi du crack

Je l'ai vendu aux blancs alors que vous pensiez que c'était une musique de noir

Je suis vrai tandis que les rappeurs ne le sont pas

Je suis sidéré que tu as une plaque de platine pour cette merde farfelue

Tous les vrais gangstas, ils sont sur le point d'être morts ou en prison

Ils ne font pas de disques à vendre)

Ce qu'il faut comprendre, c'est qu'il dit que les rappeurs vendent rien et font croire qu'ils vendent et marchent à fond. Que le rap qu'il fait état soi-disant destiné aux gens de son ghetto, a sa communauté, alors qu'il a vendu à tout le monde. Lui fait de la musique par passion, pas pour vendre, malgré tout il ne comprend pas pourquoi on donne des disques d'or et de platines à des artistes sans talents. Alors que lui, reste vrai, raconte sa vie et n'obtient rien. Il déplore aussi le côté gangster que ramènent les rappeurs dans leur disque, car la seule issue pour le gangster = mort ou prison. Plus leur musique est naze, plus ils vendent. Il faut savoir qu'il a failli arrêter le rap, surement déçu de l'industrie. 

 

 

The Greatest Story Never Told Chapter 2: Bread And Circuses

 

Toujours dans sa lancée, en 2012 il sort sur le même label, son second album : "The Greatest Story Never Told Chapter 2: Bread And Circuses". Cette fois-ci, il fait appel à différents producteurs DJ Corbett avec qui il avait déjà collaboré tient une place important sur le projet. Leur association donne d'ailleurs naissance à l'excellent "Let Me Run". L'autre tuerie c'est "Keep Pushing" avec un Chamillionaire au top de sa forme, le morceau rappelle étrangement le morceau avec le membre des Bone-Thugs-N-Harmony où il ne laisse que le refrain à l'invité du Houston. L'album est nettement en dessous du précédent, il n'est pas mauvais mais vraiment pas à la hauteur.

 

Il sait qu'il n'est pas reconnu à sa juste valeur, le morceau "When Will U Love Me" (quand est-ce que tu m'aimeras ?) est net. Mais il est conscient de tout cela dans "Plant The Seed (What U Paid For)", plus destiné aux auditeurs qui achètent de la musique pour les sonorités et non les textes, le message, le fond. Leur soutien et donc leur argent nourrit le mauvais message et tout se répercute sur la société. Il y a tellement de monde qui rappe aujourd'hui, qui est encore fan ? Qui écoute ? Le morceau "Rap Vs Real" en rajoute une couche où il parle des rappeurs en prison et qui ont mal tourné, différence entre les textes et la réalité... souviens-toi-en fils quand tu écoutes de la musique. Pareil pour tous ces types qui parlent de strip-teaseuse (diffèrent certes), de trainées, de filles faciles et autres, si c'est vos femmes ou vos filles qui font cela, vous dites quoi ? Vous continuez à promouvoir cela dans vos clips .

 

 

Il nous prouve aussi dans ce projet (mais pas que) qu'il est trop croyant, pieux et très droit dans sa propre vie. Enfin, on peut parler du sous-titre de l'album qui fait référence à l'Empire romain et son mode opératoire. Il vient le comparer au système actuel, en somme, donne leur à manger et de quoi se divertir et ils voteront pour vous. C'est ainsi que les élites se maintiennent. Tant qu'on mange, qu'on a l'accès à un système de santé, qu'on a un salaire qui donne une illusion de liberté, pourquoi râler ?


G.S.N.T.3. : The Troubled Times Of Brian Carenard 

 

Après son second album, il quitte le navire et fonde sa maison de disques : Squid Ink Squad Records. Elle ne verra à ce jour qu'un seul projet naitre, le sien. Il rappelle ses producteurs fétiches mais il ajoute un gros bonnet : Dj Premier. Clev Trev & Shuko sont aussi dans la boucle, il est bien de retour avec cet album en 2014. On revient au niveau du premier projet et vraiment, il a remis tout le monde d'accord, les sceptiques ne peuvent que'hocher la tête. Il se paye le luxe de faire poser le légendaire Big Daddy Kane sur "One Foot In The Door " avec une période de Dj Premier en prime. L'introduction est aussi mémorable car il insère une interview de Jay-Z où il place Saigon dans les prochains artistes à exploser et encore méconnu. Comme quoi, même l'un des plus grands business man des États-Unis et un excellent rappeur y ont cru. Il cherche par moments le buzz en citant et en incluant d'autres artistes : Rick Ross, 50 Cent, 2 Chainz, Kendrick Lamar... Mais sans succès.

 

 


C'est l'un des rappeurs qui peut se targuer de dire "si t'aime pas le beat, écoute en a cappella". C'est bien triste que ce projet soit surement le moins connu et celui qui a reçu le moins d'attention car c'est peut-être le meilleur, tout simplement. Clairement si on réunit cet album et le premier, on a l'album parfait pour ce mc. "Street Gospel", "My Mama Thinks I'm Crazy", "Sinner’s Prayer", "Deception", "Come Alive"... C'est du gâchis clairement, il a tellement à dire, à proposer, il a tout ce qu'il faut pour devenir un grand. Alors il continuera de rester coincé entre l'underground et le mainstream, jamais eu le single pour le faire exploser au grand public ; trop technique pour rester anonyme. Coincé entre deux mondes. Je ne vais pas perdre mon temps à vous convaincre, il est tellement évident de s'en rendre compte....

Et s'il fallait encore douter, voici un morceau hors album avec l'excellent Kool G Rap, le défi est d'utiliser la lettre "P" car elle a du pouvoir, elle est puissante (powerful). Mais de l'utiliser d'une façon bien spécifique, c'est-à-dire, faire commencer un maximum de mots avec la lettre "P".

 


777 : The Ressurection


Sorti de nulle part, cet EP débarque à la fin de l'été 2020, son Twitter dit :

"L'attente est terminée ... J'espère que les gens apprécieront l'art ... C'est juste la façon dont je m'exprime .... Ce projet est important pour moi pour de nombreuses raisons ... Vivant à une époque historique et j'espère j'ai créé quelque chose qui…"

"Nous vivons à une époque historique et j'espère avoir créé quelque chose qui fait réfléchir, de sorte que lorsque nous pouvons regarder en arrière, la musique correspond à la façon dont ces maux de la société nous ont fait ressentir à l'époque".

"Si tu veux juste entendre parler d'herbe, de pistolets et de merde ... Je ne suis pas pour toi "

"Dans le sillage de Jacob Blake, Breonna Taylor et de tant d'autres qui sont morts injustement, le morceau 'Pain in My Life 2' est très important pour moi parce que les effets de la brutalité policière ont sauté des manchettes des journaux et de ma famille pas de porte personnel avec le meurtre du cousin George Floyd", a-t-il expliqué. "Dans l'ensemble, j'espère que les gens apprécient l'art ... C'est juste la façon dont je m'exprime."

 

 

Le EP est entièrement produit par STREETRUNNER (Lil Wayne, Eminem, Ludacris, Juelz Santana...). Il est sorti sous le label Strange Music Records. Assez logiquement on retrouve un morceau avec Krizz Kaliko. C'est un morceau adressé à la fille de Saigon qu'on entend tout le long du morceau, Krizz se contente d'une outro / refrain mais diablement efficace. Le morceau qui ouvre le projet est logiquement "Pain In My Life, Part 2" avec la magnifique voix de Marsha Ambrosius. On peut dire que depuis que Dr. Dre l'a officieusement présenté à l'industrie du rap, elle est extrêmement sollicitée. Elle a d'ailleurs souvent collaboré avec notre rappeur new-yorkais.

L'étonnant "Lil B.I.G" où il mentionne une tonne de rappeurs portants soit le pseudo "Lil" ou "B.I.G" est une attaque pour certains et une dédicace à d'autres. Le projet peut se résumer en quelques mots : soul, gospel, politique, actualité, qualité, talents et trop court. Mais c'est une touche d'espoir, peut-être qu'après cela, il reviendra avec un projet de longue durée, solide et mieux distribué. Il a eu la brillante idée d'introduire son compagnon d'armes de longue date : Kool G Rap, "The Mf effect" fait bien sur partie des meilleurs morceaux. Le dernier point qui n'a clairement pas joué en sa faveur depuis son beef avec Prodigy, c'est que les radios l'ont mise de coté par rapport à cela ! Notamment "Hot 97" qui est l'une des plus grosses radios de New York. 

Voilà ce que je peux apporter comme information sur cet artiste au grand cœur et qui n'a jamais pu toucher autant de monde que certains rappeurs aujourd'hui... Si les gens par moments pouvaient ôter leur masque, ouvrir leur esprit et se concentrer sur la réalité, il en serait différent. Le dossier New York est toujours en cours....


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