Cunninlynguists : Le sud a quelque chose à dire [Partie 2]

Cunninlynguists : Le sud a quelque chose à dire [Partie 2]

 

Je vais consacrer cet article aux autres sorties majeures du groupe et conclure avec celui-ci. Je n'inclus pas les discographies solos des membres, nous verrons dans un futur article. Nous sommes en 2006, A Piece Of Strange a marqué les esprits avec un concept assez unique. Mais le groupe ne veut pas se reposer sur ses lauriers et revient à la charge un an plus tard avec leur album Dirty Acres. En 2007, sors donc le quatrième album studio du groupe. Il va diviser les fans et ceux qui les découvrent, si tous lui trouvent des qualités certaines, tous n'ont pas autant apprécié.

Il faut comprendre que cet album ne s'inscrit dans aucun concept, suite ou autres, c'est un projet à part entière, pensé avec un début et une fin. Il vient juste s'ajouter à l'excellente discographie du groupe. Kno est toujours le maître de la production et se charge de tout, il tend plus du côté de la guitare sèche. Il use moins de sample rock et l'album à un style moins alternatif. Il se rapproche bien plus de leurs débuts. Néanmoins, ils ont grandi et ont beaucoup gagné en maturité, les textes sont toujours si bien écrits. Les flows des rappeurs manquent parfois de variation, peuvent s’essouffler et ne sont pas la force première du groupe. Il est plus question d'amusement ici, de continuer à proposer du divertissement et d'asseoir encore plus le sud sur la scène rap.

Le premier single est significatif, "Mexico" est un morceau smooth, il conclut l'album parfaitement. Kno n'apparaît que rarement dans ce projet, il propose un pont à la fin du morceau sur son propre sample de guitare, le son s'emballe et on voyage non pas à Saint-Tropez ou Rome, mais loin du Sud...

 



Il y a comme des airs d'Outkast (qu'on avait déjà ressenti) dans le morceau "Yellow Lines" avec Phonte & Witchdoctor. Deacon assure un refrain à la Andre 3000 tandis que les rappeurs se la jouent smooth et font parler leurs envies sexuelles sans retenue. The Park, lui est un son, on ne peut plus chill, tout est tranquille, un appel à la paix. Un appel à la détente dans un parc sans se poser de questions. Noter que sur "Strange Journey Vol.2" (une mixtape), un remix assuré par le duo "Blue Sky Black Death" est d'un tout autre niveau. Il use d'une grosse batterie (soit l'opposé) plus des sons funky rappelant le bon temps ou la g-funk se servait des fameuses "sirènes". Tuerie.

Devin The Dude délivre lui une excellente performance sur "Wonderful" qui porte bien son nom. Devin parle souvent de sexe et de fumette, ici, il se focalise sur le sexe. Tout le morceau parle de cela, pas d'amour, juste un passage à l'acte. Ils n'ont jamais été timides, mais ici, ils sont bien vivants.

 
L'album ne se contente pas de parler de la vie, du beau temps et de relaxation. Le morceau le plus important pour ma part est K.K.K.Y. que j'ai grandement saigné. Le morceau parle beaucoup de racisme et de ses conséquences, il met aussi en avant le fait que le Sud (et pas que dans le rap) soit toujours négligé, relégué au second plan. Trop de stéréotypes et de préjugés, du coup, ils ne sont pas considérés à leur juste valeur. D'ailleurs, le titre est un jeu de mots, car le nom de l'État est Kentucky (KY) et comme le Klux Klux Klan, ils vient du sud, ils ont volontairement rajouté 2 "K" au morceau. Le KKK est une secte raciste qui prône la suprématie de la race blanche. Ils auraient étaient proches des francs-maçons (des haut placés), rappelons que les fondateurs de la constitution des E.U étaient majoritairement des... Francs-maçons. Ils sont aussi homophobes et soutiennent Trump, ce dernier a rejeté leur soutien et les a insultés de tous les noms ! Ajoutons que le Kentucky est l'État américain où le tabac est le moins cher, il est aussi le berceau du bourbon, ce fameux whisky.

Georgia va aussi dans ce sens et Kno prend de nouveau la parole, c'est l'état d'où il est originaire. Message engagé et politique encore une fois. L'autre son où il se fait remarquer, c'est "Gun" où il critique la guerre d'Irak, tandis que leur pote Sheisty Khrist s'en prend aux violences policières. Ce même rappeur, rejoindra plus tard Natti & Deacon The Villain pour former The Off Daze. L'autre morceau vraiment marquant est "Things I Dream" avec un sample bien cru, bien accrocheur, les mc's posent tous, ils ont tous la rage. Tout ceci est cassé par un sample répétant "See the things I dream" qui en fait encore une pure merveille. Au final, on se rend compte qu'on ne peut quasiment rien reprocher à cet album, hormis d’être encore une fois trop bien ! Il m'a fallu plusieurs écoutes pour l'apprécier. 

 

 

 

Oneirology, l'étude des rêves



Cette fois, ils prennent leur temps, entre les tapes et les projets solos, ils sortent en 2011, l'album Oneirology. Beaucoup les ont découverts avec celui-ci, beaucoup le considèrent comme LE meilleur album. Je le trouve excellent, dans la lignée des précédents mais ce n'est pas le classique absolu. Pour ne pas changer, Kno est encore à la prod de tous les morceaux. Tout cela pour notre plus grand bonheur bien sûr. L'onirologie, si on traduit, c'est l'étude des rêves, ça renvoie à la connexion et les liens entre les rêves, le cerveau et la réalité. Je ne sais pas si on peut vraiment parler d'album concept, pas autant que APOS en tout cas. En somme, les artistes s'endorment, rêvent, se réveillent, se rendorment, rêvent de nouveau afin de s'éveiller totalement. Kno apparaît bien plus souvent au micro, les autres rappeurs ont pris du niveau et atteignent ici leur meilleur niveau. Les sonorités sont encore plus complexes et l'ambiance musicale créee et jouée par Kno est unique. Ils ne font rien comme les autres, on entend rarement cela dans le rap.

L'album est sombre à tous les niveaux, il est très découpé. C'est-à-dire que plein de morceaux semblent se croiser, font intervenir divers instruments et samples au point qu'on pense avoir changé de piste. On est totalement absorbé et spectateur du monde onirique que le producteur a su créer. Les samples de rock progressif, rock, blues et autres reviennent sur le devant de la scène. Le premier morceau "Predormitum" sample le groupe Tai Phong. L'idée de l'album pourrait se résumer ainsi : nos rêves sont toutes nos pensées inconscientes et nos vraies pensées, qui deviennent réelles dans notre sommeil. Dans nos rêves, nous avons un contrôle total "nous avons le monde à portée de main" et tout est possible. Mais cela serait trop simple. Beaucoup pensent que ce monde n'est qu'illusion ; eux font travailler leur imagination.


 

Deacon propose un excellent couplet sur la seconde piste "Darkness". Deacon est aveuglé par l'obscurité autour de lui alors qu'il commence à sombrer dans le sommeil. L'obscurité de son esprit l'aveugle, mais avoir un esprit ouvert peut le libérer des ténèbres (maux) auxquelles il est confronté. Alors qu'il commence à rêver, son esprit ouvert peut produire des images pour le libérer de l'obscurité totale de son sommeil, car une ouverture peut s'échapper de la lumière pour fournir une vue dans une zone sombre. Non seulement, il est physiquement dans l'obscurité de son sommeil, mais il fait face aux problèmes de l'obscurité dans sa vie quotidienne. L'album plonge fortement dans le concept des rêves et dans ce cas, Deacon utilise ce couplet pour montrer comment les rêves peuvent agir comme une forme d'évasion. 

Toute personne expérimentant une projection astrale et/ou un rêve lucide a le contrôle total de son mouvement et de sa conscience dans un rêve. On pense que cela est réalisé en étant fortement impliqué dans votre essence spirituelle avec la pratique d'actes tels que la médiation. L'événement nécessite un esprit ouvert que Deacon veut atteindre pour se distancier de l'obscurité de son sommeil et plus important encore, de sa réalité.

Dans le concept, les rêves deviennent un décor hors du monde auquel nous sommes habitués. Les statuts que l’on a dans le monde de tous les jours, comme la classe et la santé, ne deviennent rien dans les rêves. Les rêves ont un potentiel illimité pour tout le monde. Ce concept d'infini dans les rêves est assez souvent décrit tout au long de l'album. L'album inclut l'un des meilleurs interludes du groupe : Phantasmata. Le terme "phantasmata" est un dérivé du mot grec pour "imagerie mentale", images de l'âme, images mentales, quelque chose qui n'existe que dans la perception. L’imagerie mentale (dont les variétés sont parfois communément appelées "visualiser", "voir dans l’œil de l’esprit", "entendre dans la tête", "imaginer la sensation de", etc.) est une expérience quasi perceptive ; il ressemble à l'expérience perceptive, mais se produit en l'absence de stimuli externes appropriés.  

Cela renvoi donc au fantasme, à l'imaginaire, le désir, qu'il soit volontaire ou inconscient.Cet interlude est important, car c'est un rêve qui prend forme, et les deux morceaux qui suivent en sont la conséquence directe. Ainsi, "Hard as They Come (Act I)" est un cauchemar qui est personnifié et décrit par 3 artistes. Natti hérite du rôle du rêveur qui personnifie l'alcool, Freedie Gibbs en featuring lui représente l'addiction à la cocaïne et enfin Kno est le VIH, le virus du sida. Et tous ces désirs qui leur sont propres et ne concernent réellement qu'eux dans le fond, prennent un autre visage et donne vie à de vraies chimères. 

Big K.R.I.T, grosse révélation et révolution du Mississippi pose à son tour un couplet sur Murder (Act II) dans le rôle du président des E.U. Deacon The Vilain, lui représente les religions, aucune en particulière. Le seul lien est que ces deux entités veulent provoquer un massacre de masse. Leurs cauchemars tournent à l'hallucination sous fonds de critiques sociales.

 

 

 
Le rêve se poursuit en mettant fin à cette folie qui a pris place via leur subconscient, My Habit (I Haven’t Changed) parle clairement de leur amour pour le rap. Le son est truffé de jeux de mots faisant aussi référence aux drogues. Beaucoup plus doux et profond. On perd un peu en intensité à travers l'album pour retrouver le sommet avec Stars Shine Brightest (In The Darkest Of Night) qui postule pour le meilleur son de l'album. Rick Warren pose un refrain bien assuré qui colle parfaitement à l'ambiance alternative et à la fois féerique qui évoque à merveille le monde nocturne. Grande réussite et tout le monde prend plaisir à rapper.
 

Marquons-le pas avec le désormais cultisme "Enemies With Benefits" qui est un dérivé de l'expression "Friends With Benefits". Expression qui veut dire sex friend ou potes mais avec une affinité assez forte pour se combler sexuellement (si besoin). On arrive dans une autre phase de l'album, et de manière très intelligente, chaque rappeur, soit : Natti, Kno & Tonedeff se mettent dans la peau d'une femme qui rêve. Étrangement, ces femmes ne rêvent que... de sexe, un peu trop même au point de devenir étouffante. 

"Donc des "Amis/ennemis avec des avantages" ne marche jamais parce que des émotions surgiront et l'un des amis impliqués (généralement la femme) s'attachera à l'autre et essaiera ensuite de définir la relation, tandis que l'autre personne (généralement l'homme) veut simplement continuer à avoir des relations sexuelles comme ils l'avaient convenu en premier lieu. Cela les amène à devenir lentement des ennemis les uns envers les autres, qui peuvent avoir ou non des relations sexuelles occasionnelles, d’où le titre.

Enfin, vient la conclusion de l'album avec assurément (pour ma part) le meilleur morceau et l'un des meilleurs du groupe "Dreams". Le sample est de toute beauté, il ne déborde pas, amène à la conclusion et à la fin du rêve. BJ Chicago The Kid qui est en plein essor pose un excellent refrain, sa voix couvre l'ensemble du morceau. Tunji, le rappeur californien habitué aux sonorités jazzy et à collaborer sur les bons projets pose de nouveau un couplet remarqué. Le crew n'est pas en reste et assure comme il faut à son tour, une magnifique conclusion dans un bain solaire. Car il est temps de se réveiller, le réveil sonne, les délires et les fantasmes prennent fin... 

Abandonner son rêve et devoir regarder les autres vivre le leur conduit souvent à une tristesse provoquée par le ressentiment, la frustration et il y a des regrets et des tourments et nous sommes constamment hantés par des pensées de ce qui aurait pu être si nous avons pris une chance - d'où la folie. Embers est la conclusion, il se réveille en douceur...

 

 

Celle qui ne voyait pas la vie en rose...


2017 est une année bien particulière pour le groupe car ils sortent en tout 3 projets ! 2 EPs : The Rose EP et Azura EP. Ils contiennent tous deux 3 sons chacun, mis ensemble avec six nouveaux sons, on aura droit la même année à Rose Azura Njano. Dernier album du groupe à ce jour. C'est de nouveau un album concept, il se veut plus dans la critique sociale, politique et du racisme. Il est beaucoup plus terre-à-terre, plus facile à interpréter et à suivre. Pas d'interlude, pas de messages cachés ou de mélodies placées dans l'album pour des transitions. Étrangement, l'album semble moins populaire que les précédents alors qu'il est d'une très grande qualité.

Je cite la description officielle de l'album : "L'album raconte l'histoire d'une femme nommée Rose, qui souffre de chronesthésie et personnifie "La musique noire en Amérique et son histoire dans la douleur, la perte, les épreuves et les mouvements sociopolitiques."

Le premier, son "Red, White & Blues" est de toute beauté avec un excellent refrain assuré par Jason Coffey. Le morceau reprend l'histoire des E.U, le titre est une référence au drapeau du pays et il joue avec les couleurs dans leurs textes. En somme, ils aiment leur pays, ou plutôt Rose aime son pays bien qu'il ait commis des crimes horribles. Si elle le brûle, c'est pour recommencer une nouvelle histoire avec ce pays fait de violence, de racisme et d'un passé esclavagiste. On chante le blues pour oublier les violences et les crimes envers les Afro-américains. Le second morceau "Riot !" va dans ce sens.

 

 

La colonisation de l’Afrique a sans doute été principalement motivée par "le fardeau de l’homme blanc" - c’est-à-dire la nécessité pour l’homme blanc civilisé et supérieur de "sauver" le peuple noir "sauvage" d’eux-mêmes, car c’est son devoir envers Dieu. Il est fondé sur la croyance suprémaciste intrinsèquement blanche que "les blancs savent mieux". De nombreux principes fondamentaux du christianisme prêchent la soumission à Dieu et à sa volonté, et c'est cette facette particulière du christianisme qui a souvent été soulignée dans l'œuvre missionnaire, présentée comme une sentence au mode de vie inacceptable connu des Africains avant l'arrivée des Européens. 

"Negus" est un mot dans les langues sémitiques éthiopiennes désignant un monarque ou un dirigeant (souvent traduit par "roi" ou "empereur"). La suggestion d'un dirigeant étant en "pleine soumission" souligne l'erreur de colonisation, qui persiste dans la société (en particulier par les forces de l'ordre et d'autres figures d'autorité) à ce jour.

Les chiffres prouvent que les non-blancs sont généralement traités plus durement que les blancs dans des situations similaires, ce qui est souvent perpétré sous le prétexte qu'il est "pour leur propre bien", ce qui est essentiellement une continuation. De la conviction de l'Europe coloniale que les Africains sont intrinsèquement inférieurs et prédisposés à des comportements sauvages. 

Cette ligne de pensée ne tient pas compte de la noblesse historique des Noirs (negus) en Afrique, qui avait souvent une éducation avancée et ainsi de suite. La similitude de prononciation des mots "negus" et "niggas" ne sert qu'à refermer la connexion. Les Noirs étaient autrefois des rois et des empereurs, maintenant plus que des "niggas".

 



Le plan est "diabolique" en ce sens, car il est largement considéré comme ayant été nuisible et dommageable pour ces peuples réduits en esclavage ; ce qui en fait l'antithèse même des messages d'amour apportés en Afrique par les missionnaires chrétiens. Au contraire, l'esclavage était considéré comme justifié par certains chrétiens en raison du fait que les peuples africains étaient considérés comme des païens. Mais notre groupe d'artistes désirent plus, que Rose devienne un oiseau en pleine possession de ses moyens pour voler. Voler loin des cages pour ne plus jamais y retourner.

Le morceau "Violet (The Upper Room)" est d'une beauté inouïe, Kno livre un beat parfait, il se sert à son tour des couleurs pour créer une ambiance unique. Grosse production qui accompagne parfaitement ce morceau qui parle beaucoup avec la foi. Tous les croyants ont la foi, mais marchent la boule au ventre au milieu d'une zone à risques.

"Gone", le cinquième morceau de l'album décrit le sentiment d'impuissance ressenti par les membres de groupes minoritaires opprimés alors qu'ils voient l'embourgeoisement détruire leurs ancrages culturels dans leur quartier. Deacon et Natti établissent de nombreux parallèles entre l'appropriation culturelle, la gentrification et le nettoyage ethnique. 

Il y a un ton lourd de résignation dans la chanson : tout ce que nous pouvons faire est de regarder la culture noire et les maisons sont volées et commercialisées ; les noirs sont continuellement et hypocritement dénigrés, expulsés, et même tués, jusqu'à ce qu'ils, et tout ce qu'ils ont à offrir, c'est… Leur résignation. La nature insidieuse de la gentrification en tant que forme de nettoyage ethnique est un sujet brûlant dans le rap conscient surtout en ce moment.

L'album possède d'énormes qualités avec des sons comme : Hustlers, Red, White & Blues, Violet (The Upper Room), Red Bird, Oh Honey, No Universe Without Harmony, Earth To Venus (Tiny Orange Star). Quasiment tout l'album en fait. Un must have. Je termine mon article sur cette magnifique note. Le prochain et dernier article autour de ce groupe ciblera les solos et les projets à part comme l'EP avec The Grouch & Eligh (rappeur hors pair, dossier complet ici ======> Eligh : Sous leur radar, au dessus de leur tete).

 

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