[Chronique son] Geto Boys - Mind Playing Tricks On Me



Je l'avais enregistré dans mes "brouillons" et je le ressors car c'était prévu que j'écrive cet article, seulement je fais avec le temps que j'ai et selon d'autres critères. Ce n'est une surprise pour personne aujourd'hui, Bushwick Bill est décédé le 9 juin 2019, il avait 52 ans. Budwick Bill était atteint d'un cancer du pancréas en phase 4 qui n'a pu être diagnostiqué que tardivement (février 2019), cancer qu'il a révélé publiquement. J'ai consacré deux articles entier à la scène de Houston visible ici :
Houston Hip Hop [Partie 1] : Ses légendes et la Swhishahouse
Houston Hip Hop [Partie 2] : Screwed Up Click


Mind Playing Tricks On Me


Seul titre a avoir atteint les charts (23ème), considéré aujourd'hui comme l'un des meilleurs singles du rap. Sorti en 1991 sur l'album "We Just Can't Be Stopped" et il décrit des trouble de stress post-traumatique. Laissons parler les experts à ce sujet :

 'Le trouble de stress post-traumatique est une réaction psychologique consécutive à une situation durant laquelle l'intégrité physique ou psychologique du patient, ou celle de son entourage, a été menacée ou effectivement atteinte (notamment en cas de torture, viol, accident grave, mort violente, maltraitance, négligence de soins de la petite enfance, attachement insecure, agression, maladie grave, naissance, guerre, attentat, accouchement). Les capacités d'adaptation (comment faire face) du sujet sont débordées. La réaction immédiate à l'événement aura été traduite par une peur intense (effroi), par un sentiment d'impuissance ou par un sentiment d'horreur.'



Le son était prévu pour être sur l'album de Scarface mais le label en a décidé autrement et s'est dit que c'était mieux que les Geto Boys en fassent un single. Il avait donc vu juste. Scarface a d'ailleurs déclaré qu'il avait une version avec seulement lui, il a filé à un pote qui est décédé. La cassette est quelque part, mais où ? Le titre toujours d'après la légende du sud est inspiré d'une phrase que sa grand mère lui aurait dit.

C'est d'ailleurs lui qui ouvre le morceau avec l'introduction :
"I sit alone in my four-cornered room
Starin' at candles"

A noter que cette phrase, il avait déjà utilisé dans "Mind Of A Lunatic". On apprend ici qu'il est seul dans sa chambre où tout est fermé, la seule lumière est cette bougie qu'il regarde. Peur du noir ? Je vous renvoi à mon article sur L'Enfant Seul d'Oxmo Puccino



Ensuite on dirait qu'il est surpris et qu'il ne se rend pas compte que le morceau tourne et qu'il est enregistré, il lance son couplet.

La paranoïa qu'il décrit dans son couplet n'est pas le seul fruit de leur imagination. Scarface est passé par une phase maniaco-dépressive quand il était enfant qu'il lui a donner des envies suicidaires. Il s'est mit à la drogue dès l'age de 8 ans.

Il est donc dans cette chambre semblable à une prison ou des planches de cercueil et il a carrément l'impression que les murs se referment sur lui. Ce qui peut laisser croire qu'il est claustrophobe ou du moins qu'il ne supporte pas cela. Il décrit l'état dans lequel il est, doigt accroché à la gâchette, il dort mal entre les coulées de sang et la transpiration...

Il a l'impression que quelqu'un le regarde ou plutôt de voir un doppelgängers qui désigne le fait de voir un double, quelqu'un à la fois dans la réalité mais aussi dans son imaginaire. C'est l'un des signes très clairs de paranoïa, qui prouve que notre esprit est en train de plonger.





L'image qu'il projette est celle d'un assassin qui porte un chapeau, une canne et une veste noire tout comme lui. On peut le comprendre comme le fait que la mystérieuse apparition qu'il voit clairement et si proche est la somme de ses propres peurs. C'est peut être son subconscient qui lui envoi un message pour lui dire qu'il ne devait pas continuer à mener la vie qu'il mène.

Convaincu que quelqu'un est là pour lui, il vide son chargeur mais il n'y a que la fumée et le bruit qui lui répondent. Il check sa fenêtre toutes les 20 secondes pour y voir personne. Il finira le couplet en parlant de "taps" qui sont les mouchards / micro qu'on place sur quelqu'un pour le suivre / l'entendre.

Et on peut y voir un double sens, si à la base c'était plus pour les criminels, les dealers de drogue et autres. On peut rappeler que les personnes atteintes de maladies mentales comme la paranoïa pensent que le gouvernement ou autre les espionnent en permanence. Certes on ne peut avoir confiance en ces derniers mais ne nous rendons pas fou non plus. Nous sommes que des petits poissons dans l'eau d'un océan plus grand que notre imagination.



C'est ensuite au tour de Willie D de faire son entrée


Lui il nous explique qu'il avait tout ce qu'il voulait, mais un soir quelque chose était pas à sa place. Il se demande si ce n'est pas un retour de bâton ?  La fameuse loi du karma, vous savez ? Il avait vendu 5000$ de farine à un type qui a cru que c'était de la came... Ou est-ce un type sur qui il avait tiré ? Il ne sait pas qui lui en veut. Reste qu'une voiture est à ses trousses, phares braqué sur lui sans qu'il ne sache pourquoi.

Tout va trop vite, pensant trouver refuge dans un parking, les voilà à l'accompagner pour trouver une place de stationnement dans ce parking pourtant inoccupée durant la nuit. Main sur le gun, juste au cas où ça se corse, il est paré. Et finalement qui sort de la voiture ? Trois personnes âgées, aveugles et estropiés... Il s'oblige dès lors à prendre ses potes avec lui car il devient fou.





Son mode de vie ne lui permet pas de vivre sereinement. Il était boxeur avant de tout abandonner pour le rap. La plume est plus forte que l'épée mais lui vit par l'épée, la paranoïa s'est vraiment emparé de lui pensant qu'il pouvait encore faire du mal ce soir. Toujours à tout surveiller autour de lui car son esprit lui joue des tours...

Scarface reprend la main


Il continue de plonger et se sent comme les clients de sa came : incohérents et paranos. UGK samplera sa phrase : “Feel Like I’m The One That’s Doing Dope” pour créer un morceau du même nom. Il a du mal à contenir sa main tremblante mais tous les dimanches il répond à l'appel du seigneur et cherche le pardon. Il sait que le seigneur a un œil sur lui et qu'il voudrait quitter le milieu de la came mais dur de se sentir heureux.

Il parle beaucoup de suicide, il fera d'ailleurs un morceau sur ce thème. Il en parle dans une vidéo, il parle de la tentative qu'il avait fait quand il était plus jeune. Ici l'idée est que quand il est bourré et prend le volant, il pense à rentrer dans un mur et en terminer.






Alors pourquoi il se retient ? Son fils, il veut en prendre soin, le protéger et qu'il ne devienne pas un 'bâtard' d'après son texte. Autre raison qu'il le garde ?

"I had a woman down with me
But to me it seemed like she was down to get me"

Ici c'est fort car il y a un jeu de mot, "down with me" ça signifie "qui roule avec moi", quelque chose de positif donc. Ensuite en changeant un peu les mots il va insinuer qu'elle le trompe ou qu'elle cherche à le voler, qu'elle lui veut du mal, négatif donc. On est donc bien de la paranoïa. Aussi dur qu'il soit, il a besoin d'une femme qui l'aime et qui l'accompagne. Comme tous les hommes.



Son comportement de gangster a fini par rendre sa femme distante, une fois qu'elle s'est éloignée, il ressent des sentiments pour elle. Le problème des hommes est là, ils réfléchissement avec la tête avant tout et non le cœur. Les dames elles, le font avec le cœur avant la tête. Ainsi quand un homme dit que c'est fini, c'est par ce qu'il est énervé sur le coup mais n'a pas mesurer l'ampleur de son acte. La femme elle, si elle le dit c'est qu'elle ap ris conscience de la situation et que son cœur n'y est plus.

Ce qui peut expliquer le fait que les hommes ont tendance à revenir, car après coup ils réalisent qu'ils ont perdus la fille. Fini elle ne leur 'appartient' plus et la fierté entre en jeu. Des fois c'est juste qu'ils se sont pris un râteau par une autre meuf et se disent "autant revenir aux sources, sur un terrain déjà conquis", encore une fois = erreur. Des fois c'est juste pour passer une nuit sans prise de tête...

Sa misogynie peut être aussi lié au fait que dans son quartier les hommes quittent leur femmes et deviennent encore plus gangsters dans l’âme. Ce qui viserait donc à renforcer ce coté macho et de caïd.

Le dernier couplet tout comme les deux premiers ont étaient écrits par Scarface.



Le défunt Bushwick Bill clôture le son


On apprend que cette année Halloween est tombé en plein week end. Lui et son crew arnaquent des gosses tranquillement jusqu’à que la police les prend en chasse. Il se retourne et voit un type juste en face de lui, il commence à le bastonner. Il pense que c'est l'homme qu'il a vu dans ses rêves.

Cette ligne est importante car il fait référence à l'homme en noir dont parlait Scarface dans son premier couplet. Ce dernier a écrit le son en intégralité hormis le couplet de Willie et toutes les voix qu'il entend sont siennes et tous les personnages sont lui car c'est en fait une personne qui parle. Les couplets, tous, ont étaient écrits depuis la perspective d'une seule et même personne. Donc ce dernier couplet représente la phase finale d'une personne psychotique, ce qui se joue dans sa tête. On parle donc de dissonance cognitive quand plusieurs pensées, croyances, émotions se contredisent entres elles au sein d'une même personne.



En vivant dans la rue au prix de la drogue, élevé par une famille de croyant attaché à la bible, on a ici un bilan psychologique qui balance entre ces deux modes de vie. De leur coté avec son crew, ils vont continuer à frapper cet homme imaginaire malgré le sans qui jaillit.

Il se rend finalement compte que l'homme en question n’existait pas, ses potes ne sont pas avec lui à ce moment là. Totalement déconnecté du monde réel. Il se sent comme un mec drogué, il ne différencie plus rien, il hallucine. Il se sent humilié au fond de lui, l'estime de soi en prend un coup. Il ne contrôle rien en fait, il hallucine et ne fait que subir, il ne vaut pas mieux qu'un autre, lui qui se sentait si fort. Du coup, il ne peut pas assurer sa propre sécurité.



Au final il n'est pas du tout dans la période d'Halloween, il fait nuit sombre, les mains plein de sang car il a boxé le mur. Tout n'est qu'hallucination depuis le début du son. Personne ne lui courait derrière, pas de Geto Boys avec lui et en frappant son poing à plusieurs reprises, il a compris que c’était son propre sang. Le son est sorti en juillet 1991 et la fête des morts est en octobre.

Bushwick Bill était l'invité dans l'émission  Jamie Foxx’s SiriusXM show (2008) où il a dit que chaque couplet est censé illustré une maladie mentale :
- Paranoïa
- Dépression
- Schizophrénie


Commentaires

  1. Un fléau les maladies mentales et personne n'est à l'abris.Un grand merci Fathis pour tes commentaires.

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    1. Totalement d'accord, j'ai pu les côtoyer de près via mon travail et ma vie perso et c'est pas près de s'estomper, hélas...

      Merci à toi.

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