[Chronique Son] IAM - L'Enfer feat East & Fabe



C'est pas une chanson qui m'avait marqué a l'époque mais le casting est assez extra-ordinaire en vrai. Elle a le mérite de réunir East, Co-fondateur du label Double H, East est mort le 3 Février 1996. Ce couplet n'était pas forcément prévu dans la chanson, mais East avait bien été invité par le groupe à venir poser à Marseille. En effet, IAM voulait absolument que ce rappeur phénoménal fasse quand même partie du projet. Du coup, Cut Killer a filé un de ses freestyles a cappella qu'il avait fait sur Radio Nova dans les années 90 : ce couplet qui se trouve d'ailleurs sur le seul maxi d'East dans le morceau “Straight from the underground”. Son couplet n'a rien à voir avec le reste de la chanson mais il est positionné en premier, c'est pour cela que ce dernier commence par “s'ouvre la porte du deuxième couplet”.

Un talent pas exprimé... East 

East, de son vrai nom Olivier Kponton (1969–3 février 1996), est un rappeur français. Actif au début des années 1990, le MC décède lors d'un accident de scooter sur le chemin de Radio Nova. Pendant sa courte carrière, East s'associe avec des groupes comme Alliance Ethnik, IAM et La Cliqua, et des artistes comme Cut Killer et Dee Nasty. Il est considéré par la presse spécialisée comme un talent et l'un des activistes les plus connus du milieu hip-hop à ses débuts en France.
East publie son premier maxi 45 tours en 1990, intitulé Le rap, ça tape, en featuring avec Reef T. Il rencontre Cut Killer aux alentours de 1990–1991 ; ils forment ensemble un duo passionné de basketball et de rap. En partie nigérian, par conséquent totalement anglophone, ses premiers titres sont interprétés en anglais, ne rappant que quelque temps après en français. Il appartient à l'époque au groupe TOP (pour "Type Original de Poètes"). En 1995, il fonde le label Double H.

"Double H concept s’est monté avec East, on voulait monter notre Assos' Double H, un jour il a fait un texte, j’avais compris quasiment tout le texte, mais je ne comprenais pas le "double H" : il me dit “mais t’es bêtes ou quoi c’est Hip-Hop", explique Cut Killer. Il commence à animer ensuite la même année le Cut Killer Show sur Radio Nova.

East décède le 3 février 1996 à Paris dans un accident de scooter alors qu'il se rend à Radio Nova pour le Cut Killer Show, ce qui explique par ailleurs que certaines collaborations soient virtuelles, son ami Cut Killer ayant placé ses a capelas sur les morceaux en question. "Olivier était mon alter égo", explique Cut Killer. Ce dernier produit en son hommage le maxi intitulé Eastwoo, sorti début 1997, rassemblant plusieurs de ses collaborations avec Fabe, IAM, La Cliqua, et Eros (du groupe TOP).

En 2005, un morceau inédit datant de 1995 intitulé Straight from the Underground, est ajouté en bonus du DVD Cut Killer Show. En 2016, une nouvelle version remixée de son titre Straight from the Underground est publiée.

L'Enfer c'est quoi ?

C'est un morceau qui traite de la violence qu'exercent les autres. Le fait de toujours rejeter la faute sur l'autre, d'agir par rapport aux autres. En fait on est prisonnier, on se jette en enfer, on a plus de liberté car on nous juge selon nos actes. Bien que le titre du morceau soit "L'Enfer", ils se sont grandement inspiré de la pièce de théâtre "Huis Clos" de Jean-Paul Sartre joué pour la première fois en 1944. L'expression a largement dépassé le cadre du spectacle et est rentré dans la culture populaire. Pour faire court, un homme et deux femmes se retrouvent enfermé pour l'éternité dans une même salle après leur mort. Ils sont alors en enfer mais aucune souffrance physique ne leur sera infligé, ils sont a la fois jugé et juges pour les autres. Victime et bourreau a la fois, chacun est un bourreau pour les deux autres, ce qui ne constitue aucune échappatoire. La torture est encore plus grande car elle est mentale, elle se fait seulement par le jugement de l'autre et comment ils percolent nos actes. Garcin peut quitter la salle quand la porte s'ouvre mais il ne fait pas car il est lâche. Ines qui peut témoigner de son courage ne le fera pas car elle est amoureuse d'Estelle. Ines elle a besoin d'un sentiment de supériorité, elle a besoin de faire souffrir les autres, donc dépendante. De plus elle est lesbienne, ce qui était mal vu a l'époque et porte automatiquement un jugement sur elle. Estelle est superficielle et narcissique, son miroir lui manque, Ines rempli alors ce rôle. Elle a ce besoin de plaire, donc de se montrer aux yeux des autres. L'enfer c'est ça en somme.


En musique ça donne quoi ?

On va maintenant décortiquer les couplets des rappeurs présents. Comme dit plus haut c'est East qui ouvre le bal et qui balance la phrase "L'enfer, quelle est leur motivation première ?" qui est samplé dans le refrain du morceau. Ce qui est intéressant c'est de voir les liens que son couplet a, avec la philosophie d'IAM précisément sur cet album. Il commence en balançant "S'ouvre la porte du deuxième couplet, dimension coté obscur". 

Plus loin il dit :
"C'est clair, l'avenir ne nous réserve rien de bon / Vivant au jour le jour pour nous c'est la même de toute façon" qui fait de suite penser au morceau "Demain C'est Loin". Le refrain est composé d'un sample de chacun des artistes hormis Shu'.  

Akhenaton prend le relais et relate la violence qui s'est banalisé. A un tel point que les embrouilles a mains nues sont la routine, quand y a pas d'armes c'est qu'on s'en sort bien. Il ne comprend pas cette escalade de la violence qui peut pousser a sortir un flingue et buter l'autre. 

Il dit même :
"2,3 coups par derrière, embrouille ? Pow ! Revolver
Pour le plaisir, mais le plaisir, n'est-il pas de rire?
Un bon délire avec son équipe, ça fait frémir
J'ai besoin d'un break, cette fois-ci c'est clair
"

Il est loin de tout ça, il arrive a s'élever au dessus de ces êtres sanguinaires qui ne réfléchissent pas. Mais la punchline qui explique bien le tout c'est "Se battre pour la réputation, c'est se battre contre des fantômes".

Fabe à son tour prend le relais pour délivrer aussi un couplet poignant avec la punchline "Une justice qui glisse comme le vice sur nos enfants" (ça vous rappel pas un son ?). Il rend hommage à East à la fin du couplet en le mentionnant. Il fait une métaphore sur la vie en disant qu'elle est un film ou l'acteur est inconnu. Ce que Shurik'n reprendra dans son couplet. Shurik'n fini d'ailleurs a merveille ce morceau en donnant son avis tout en avouant ne pas avoir de réponse a la question de l'enfer. En effet d'après lui, il y a trop de séries B, trop de seconds rôles, et qui veulent forcément le premier rôle. Mais le c'est celui d'un jeune qui va baisser les bras car il ne trouve pas de travail, donc qui n'a pas d'argent. Il va choisir la facilité, et vendre de la drogue, qui peut rapporter beaucoup et rapidement. Les jeunes se gâchent ainsi la vie pour des futilités, ils vont juste se bruler les ailes en acquérant des bien futiles. 

Et c'est ainsi que Shurik'n clôt efficacement le couplet :
"Quelle est leur motivation première, je n'en sais rien
Peut-être aiment-ils vivre le purgatoire au quotidien
D'un regard extérieur, il se dit, c'est pas de leur faute
Cette fois il a raison : l'enfer, c'est les autres
"

Il ne trouve pas d'explication a ces agissements absurdes, il nous parle d'ailleurs d'un jeune en prison surement car il a du dealer. La cause c'est que ce jeune n'avait rien a faire et qu'il n'allait plus pointer au chômage. Shurik'n a l'air de s'opposer a l'excuse des gens qui disent "c'est pas de ma faute, c'est eux qui m'ont poussé." En fait ces gens ne se sentent plus exister, ils se sentent exclu du rang, donc ils doivent agir comme eux. Boire de l'alcool, c'est social alors on va le faire dans la soirée, même si habituellement on est contre. Mais le fait de ne pas le faire, on va passer pour quelqu'un de pas marrant, pas intéressant et par conséquent on sera l'exclu. C'est le même phénomène qui est dénoncé ici, on agit pas pour soi mais vis a vis des autres. J'existe seulement si au regard de l'autre j'existe. Le regard (le jugement) de l'autre peut aussi être objectif car il pourrait nous montrer une réalité ou un trait de caractère qu'on refuse ou qu'on ne peut voir. C'est la toute la force des paroles des qu'on se penche dessus, elles peuvent être très riche. C'est pourquoi j'ai voulu me pencher et vous présenter ce morceau.

Version Youssoupha
 



"C'est un titre assez difficile à écrire parce que je voulais me nourrir de clichés répandus, de préjugés qui ont la dent dure. Il y a certains propos que je ne partage pas mais que j'ai voulu mettre dans ce son justement pour montrer jusqu'où peut aller l'absurdité. Voilà. Mais tout ça ne va pas sans une remise en cause personnelle parce qu'on a toujours tendance à dire que le mal vient des autres alors qu'en fait on a notre part  d'erreur dans le naufrage collectif" - Youssoupha

Lui c'est différent de ce que j'ai développé plus haut, c'est aussi un excellent morceau mais différent. Il souligne tout de même le fait qu'on rejette la faute sur les autres, et donc qu'on se décharge de responsabilité. Dans le 3ème couplet, le beat et change et le Mc devient plus impulsif, les textes aussi car cette fois il comprend que l'enfer, c'est le jugement des autres sur nous. Il fait preuve de maturité a travers le morceau, au début ils dénigrent les autres et enfin il comprend que lui aussi est l'enfer pour les autres. Il est donc face a lui même comme au début de la chanson quand il commence avec :
"Avant d'essayer d'changer le monde, les gens et leur Histoire 
Faudrait qu'je change l'enfoiré qu'je vois dans mon miroir"

Cette pièce de théâtre a inspiré d'autres artistes mais j'ai voulu me concentrer sur eux.

Commentaires

Posts les plus consultés de ce blog

[Chronique son] Eminem - 'Till I Collapse feat Nate Dogg

[Chronique Son] Shurik'n - La Lettre

Nouveau site : hiphopsansfrontieres.com