[Chronique] Flee Lord and Mephux - Pray For The Evil III

01. Welcome
02. Paying Homage (Feat. Cormega)
03. Go Mode (Feat. Phonk P & G4 Jag)
04. Notion
05. The Essence (Feat. Fat Joe)
06. Chopped And Slowed (Feat. DJ Red)
07. I Still Pray (Feat. Starz Coleman)
08. Juice (Feat. UFO Fev)
09. Final Four (Feat. Conway The Machine, Roc Marciano & Trae Tha Truth)
10. Impala (Feat. T.F)
11. Out The Mud
12. Goodbye (Feat. Tiona Deniece)

 

IV/ Le Triptyque « Pray For The Evil »


Lorsque le premier est sorti, il a mis tout le monde d’accord, à tel point que même notre cher et national Abcedaire du son en avait fait une chronique en 2020, et dans lequel on retrouve ce morceau devenu classique avec G4 Jag, « One Shot ».  Le premier était sorti en février, le second en aout, dans lequel il nous gratifie du magnifique « Plum Philosoph », chanté par Kaysha Plum du collectif Griselda

A noter que sur l’année 2020, Flee Lord a sorti pas moins de 12 projets, à raison d’un par mois. Cette capacité à être tout aussi prolifique que qualitatif est assez rare, peu en sont capables : Da God Fahim et Mach Hommy, Griselda, Curren$y… Cette année, Allah Preme semble s’être lancé dans une démarche similaire, mais le niveau d’exigence que demande ce type de challenge peut s’avérer payant comme fatal pour une carrière. Flee possède à la fois l’oreille et la notoriété qui lui permettent de bien s’entourer et donc de toujours répondre présent en termes de qualité et d’originalité.


 

Flee Lord and Mephux, « Pray For The Evil », Février 2020.



Flee Lord and Mephux, « Pray For The Evil II », Aout 2020.

 


Flee Lord and Mephux, « Pray For The Evil III », Mai 2022.

 

 

V / « Pray For The Evil III », Analyse


Mais revenons-en à l’album, « Pray For The Evil III », qui propose un line-up complètement fou : Conway The Machine et Roc Marciano, qu’on retrouve à nouveau dans ce troisième volet, après une apparition sur le premier opus ; Phonk G et G4 Jag, eux aussi présents sur les deux premiers opus ; Ufo Fev, qui a sorti par ailleurs un magnifique projet en début d’année avec DJ Hart, « E Pluibus Unum » qu’on peut traduire du latin par « Parmi beaucoup, un », composé entre autre du banger « Money », à écouter absolument ! Mais on retrouve aussi dans cette fin de trilogie, deux légendes de l’Histoire du rap américain que sont Cormega et Fat Joe. Ainsi, les invités sur ce dernier projet n’ont pas à rougir, Flee avait mis la barre déjà tellement haute sur le premier en termes de qualité, et sur le second en termes de qualité ET de featuring, avec, en guests : Eto, West Side Gunn, Roc Marciano, Keisha Plum, 38 Spech ou encore Evidence.

« Pray For The Evil III » commence par une intro plutôt tranquille et somme toute assez classique : « Welcome », constituée principalement d’un sample de chœurs féminins soul ouvre de manière efficace et qualitative le projet. 

Mais l’album se lance véritablement à partir de la seconde piste, « Paying Homage », en featuring avec le légendaire Cormega, présent dans le paysage de la culture hip hop New-yorkaise depuis le début des années 90 et lui aussi originaire du Queens comme Flee Lord. Issu du quartier de Queensbridge, Mega grandit avec les futures légendes du rap américain comme Mobb Deep (on comprend d’où provient la connexion…), Nas ou encore Capone, et aura le privilège d’être invité sur des projets parmi les plus reconnus du milieu tels que « Without Warning » de Blaq Poet, ou « Illmatic » et « It Was Written » de Nas. D’ailleurs, le groupe The Firm dont il est un des membres avec Nas, AZ et Foxy Brown verra le jour suite à cette collaboration. L’expérience tournera vite de court pour Cormega qui quittera le groupe et entamera un Diss’ avec Nas autour de sombres questions de trahisons internes. Le morceau partagé avec Cormega, « Paying Homage », est un des plus réussi du projet. Le beat assez minimaliste se concentre sur une boucle de violon lancinante et efficace et la prestation des deux compères à la hauteur de cette superbe production de Mephux

 

 

Le morceau suivant, « Go Mode », propose un feat avec Phonk G et G4 Jag, une collaboration maison réussie, le beat composé principalement de cuivres jazzy donne une note de fraicheur au morceau grâce aux envolées au saxophone savamment distillées ça et là au grès de la composition par Mephux. La voix posée de Phonk G se marrie parfaitement avec celle plus nerveuse de Flee Lord : leur nature dichotomique offre une complémentarité et un équilibre parfait entre les deux artistes. La voix rageuse de Flee vient nuancer et faire écho à la voix plus posée et plus lourde de Phonk G, mais les deux restent sur une texture profonde, grimey. La collaboration est réussie, on est face à un des meilleurs morceaux du projet, on ne change pas une équipe qui gagne, c’est validé !

Le quatrième morceau de l’album, « Notion », est un solo de Flee Lord, sur une instru aux notes trap accompagné d’un sample de voix féminine chantée. A noter que cette track dénote totalement du reste de l’album et de ce que Mephux et Flee ont l’habitude de proposer ensemble. Chacun en sera juge…

Ensuite, on revient dans l’ambiance posée et inquiétante dans le style grimey, boom bap du début de l’album. « The Essence » est le morceau sur lequel Flee Lord invite Fat Joe, qui propose une prestation tout à fait honorable à la vue des critiques dont il a fait dernièrement les frais. Certains lui reprocheraient son manque d’efficacité et l’accuseraient d’être une légende du passé… Dur ! L’instru de Mephux se compose d’un sample de violon à l’arche mais aussi d’une boucle de violon aux cordes pincées, qui donne une couleur particulière au morceau et qui en fait aussi toute son originalité et son efficacité. Le morceau est particulièrement réussi, c’est validé !

« Chopped And Slowed », en collaboration avec DJ Red, s’inscrit dans la continuité du morceau précédent. Ce sixième morceau prend l’allure d’une sorte de longue interlude, dans laquelle Red semble poser sa voix sur l’instru sans artifice. A ce stade de l’album, on saisit toute la cohérence et l’identité, la couleur que Meph' et Flee ont voulu donner à ce dernier opus. Il y a une forme de continuité et de complémentarité entre les morceaux, c’est indéniable, mais aussi entre les différents volets, et c’est aussi ce qui avait fait la force des deux premiers opus du projet. Un fil conducteur, une ambiance marque tout ce triptyque, et cette marque, elle est musicale, et on la doit au travail de Mephux principalement. 

 

 

« I Still Pray », le septième morceau de l’album, est un feat avec Starz Coleman, que je découvre sur cette track. L’instru, basée sur des voix de chœurs féminins, découvre des notes de soul, à la limite du funk, mais toujours dans une ambiance posée et sombre, on est loin des tubes à consonance festive des « Earth, Wind and Fire », mais on sent l’héritage funk sur cette track.

Le huitième morceau du projet, « Juice », opère une transition tout en douceur avec le morceau précédent, si bien que « Juice » semble dans la continuité musicale de « I Still Pray ». Tout simplement parce que Mephux semble repartir d’une base similaire, et reconstruit un nouveau morceau en substituant les chœurs féminins précédents par de nouvelles boucles au piano.  C’est sur cette track que Flee invite Ufo Fev, un autre acteur central de la scène actuelle New-yorkaise. A noter qu’Ufo Fev, en plus de sa dernière collaboration avec DJ Hart, est aussi à l’origine d’un projet monstrueux entièrement produit par Big Ghost Ltd, « The Ghost Of Albizu », que je vous conseille chaudement…

Le projet s’enchaîne avec une des pièces majeures du projet, « Final Four », le neuvième morceau de l’album, sur lequel Flee Lord invite Roc Marciano, Conway The Machine et Trae Tha Truth. Une production assez minimaliste, avec une ligne de basse prépondérante et un violon irrité en fond, subtile équilibre ! Les performances de Roc, Conway et Trae sont remarquables, on est bien face à un des morceaux les plus importants de l’album, c’est validé !

S’en suit « Impala », un morceau qui repart sur une base de beat trap, mais cependant, la forme sombre et lourde que lui donne Mephux l’intègre très bien au projet. « Impala » opère aussi comme un bol de fraîcheur au milieu de ce projet bien obscure. C’est moderne, c’est réussi, on valide !

 

Flee Lord, Lord Mobb.

Lord Mobb, logo original.

 

L’avant dernier morceau du projet, « Out The Mud », revêt lui aussi une ossature de beat orientée vers la trap, mais c’est très « léger », ça n’est pas prépondérant, et ça passe tout seul. Le morceau est réussi, avec une boucle de piano enregistré en style mono, cela vient faire écho par une certaine forme rustique d’authenticité, face à la nature plus moderne, synthétique, osée et envolée du beat trap. C’est vrai qu’on n’est pas habitué à cela venant de la collaboration entre Flee Lord et Mephux, mais peut-être faut-il y voir un message quant à une certaine orientation artistique dans le futur ? Le choix de distiller ainsi des morceaux de cette nature, sur le dernier volet d’un long projet n’est pas, me semble-t-il, chose faite au hasard… Mais peut-être que je fabule, n’hésitez pas à dire en commentaire ce que vous en pensez … Ce que j’ai appris en m’intéressant à la personnalité de Flee, c’est qu’il ne laisse jamais rien au hasard…

« Pray For The Evil III » se termine en beauté sur le dernier morceau « Goodbye », en feat avec la chanteuse Tiona Deniece dont la voix, limpide, sonne magnifiquement bien. Sa voix chantée de la sorte donne une impression de R’n’B, sur la même boucle au piano enregistrée en mono présente dans « Out The Mud » mais légèrement modifiée semble-t-il. On retrouve cette voix si particulière qui ouvrait le premier projet collaboratif de Griselda en 2019 devenu un classique, le légendaire « WWCD ». A noter aussi que ce n’est pas la première collaboration entre Flee et Tiona, qui ont sorti un album commun en 2021, « Mask And Gloves » au sein duquel on retrouve cette couleur R’n’B, chantée… Un projet plutôt passé inaperçu en comparaison de la visibilité et de l’attente suscitée par la trilogie « Pray For The Evil ». Ces répétitions de boucles d’une chanson à l’autre, égrainées au fil du projet, par une subtile boucle saisie au vol, amplifie d’autant plus cette sensation de cohérence tout au long du projet, ce qui donne cette impression d’harmonie, telle une rivière qui coule le long de son lit. En tout cas, « Goodbye » fonctionne admirablement bien par son authenticité et sa fraicheur, et sonne, comme son nom l’indique, comme un « au revoir ». 


 

VI / Pour Conclure


Mais ne nous voilons pas la face, ce troisième et dernier volet est certes très qualitatif à l’oreille, mais si on le compare aux deux précédents, force est de constater qu’il est de loin le moins surprenant. Attention, il n’en reste pas moins une des sorties les plus sérieuses de ce mois-ci, voire de l’année, et on reste toujours face à l’excellence du label « Lord Mobb », c’est indéniable. D’autant plus que le travail de Mephux est remarquable, et la qualité du line-up et des prestations l’est tout autant… Cet avis est bien sûr totalement subjectif, et la raison de ce jugement est certainement à chercher dans l’attente qu’a pu susciter ce dernier opus quant au niveau d’exigence élevé des deux premiers volets et de la quantité de bangers qu’ils contiennent. Cela fait deux ans que j’attends avec impatience ce dernier volet (et je ne suis pas le seul), et comparé aux deux premiers, il ne m’a pas surpris pas pour autant…

Certainement aussi pour une raison simple : lorsque le premier opus de « Pray For The Evil  » est sorti, ce fut une claque, il s’agissait alors du projet le plus abouti de Flee Lord, et cette sensation de surprise, malheureusement, ne peut se ressentir qu’une fois, comme le premier shoot d’un toxico au fin fond d’une ruelle crasseuse du Queens ! Attention, « Pray For The Evil  III » est un projet solide, fouillé et digne des meilleures productions de chez Lord Mobb, mais le niveau des deux premiers opus vient ternir le goût de ce troisième, me semble-t-il, en toute humilité.

C’est pour cela qu’il me semble fondamental de comprendre et interpréter ce projet comme s’inscrivant au sein d’un tout, et de ne pas penser la partie indépendamment du tout, comme le disait le philosophe grec Platon. Sagesse antique oblige ! Extrait de ce processus artistique complet et total, le ressenti peut paraître décevant, mais dès lors qu’on le reçoit en tant que finalité d’un triptyque, d’un tout, dont chaque partie est complémentaire des autres, alors il prend toute sa valeur. 

Mon conseil, écoutez le triptyque entier, en respectant sa linéarité, et vous serez subjugué par ce travail de précision et de qualité. En effet, sans les précédents volets, cet album n’aurait ni sa raison d’être, ni sa forme actuelle, et il faut donc le prendre pour ce qu’il est, au sein de ce tout : la conclusion d’une magnifique expérience musicale qui nous aura tenu en haleine durant deux ans… En en reveut, comme dirait notre toxico au fond de sa ruelle poisseuse du Queens !!!

 

Rédigé par Beurk'son aka The Ranking Sarazin

 

Le collectif Lord Mobb en live, Flee au centre.

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